Art moderne - Art contemporain

XIXE-XXE-XXIE SIÈCLES

Seurat-Serra, duo graphique

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 23 août 2022 - 533 mots

BILBAO / ESPAGNE

Le Musée Guggenheim Bilbao confronte les dessins du chef de file du pointillisme à ceux de l’artiste minimaliste Richard Serra.

Bilbao (Espagne). Le titre, « Seurat/Serra » – il fallait y penser – est amusant, voire accrocheur. Mais bien vite on s’interroge : quel est le rapport entre le grand peintre français (1859-1891), « inventeur » du pointillisme à la fin du XIXe siècle, et le grand sculpteur américain (né en 1938) dont l’œuvre majestueuse, Snake, est présentée dans l’exposition du Musée Guggenheim de Bilbao ? Cette confrontation étonnante tient au parti pris des commissaires, Lucía Aguirre, conservatrice au musée, et Judith Benhamou, critique d’art : se limiter à la production graphique de ces artistes. Ainsi, pour Georges Seurat, ne sont présentés que les dessins en noir et blanc, tandis que pour Richard Serra il s’agit essentiellement d’une très longue série, commencée en 2015, « Ramble Drawings ». Cette précision est surtout importante pour ce dernier, car la série en cours est bien différente des dessins que l’artiste pratique régulièrement, comme un musicien qui fait ses gammes. « Ramble Drawings » a tout d’un hommage à l’artiste français, tant Serra y joue subtilement du passage entre clair et foncé, entre transparent et recouvert, entre trace et support. Ces quelques dizaines de variations sont accrochées aux murs latéraux de deux salles tandis que les dessins de Seurat ont droit aux « blocs » de cimaises situés au centre. On préférerait une scénographie qui alterne les travaux des deux artistes pour comparer leurs méthodes.

Serra travaille tantôt par marquage direct au fusain, tantôt par transfert. Dans le second cas, il dessine sur une fine feuille de papier à l’aide de crayons lithographiques noirs et de poudre de pastel. Puis il presse cette feuille sur une autre, plus épaisse – un papier japonais en général. Selon le degré de pression, les formes sont plus ou moins fondues entre elles. Dans la série présentée, les composants abstraits, des lignes verticales ou sinueuses, fusionnent ou se décomposent, formant un écran obscur ou brumeux.

Chez Seurat, en revanche, tout est fait pour maintenir les formes – avant tout humaines – qui émergent d’un éparpillement sans fin de petits points. La chair et la chair de la peinture ne font qu’un quand ces particules forment une coagulation et se transforment en êtres hiératiques (L’Homme couché, 1883-1884, [voir ill.]). Seurat réalise des dessins au crayon Conté, dont la densité du grain permet des gradations innombrables de tons, leur donnant un aspect vibrant et soyeux. Ces variations dans la distribution des points clairs et sombres « engendrent des frontières qui définissent des figures, des bâtiments et les limites de la terre, de la mer et du ciel », écrit l’historien de l’art Meyer Schapiro(Style, artiste et société, Gallimard, 1982).

Ce sont probablement les quelques paysages de Seurat exposés ici qui permettent d’établir un lien avec l’Américain. Peu de chose, en effet, sépare Troncs d’arbres qui se reflètent dans l’eau (1883-1884), figurant de fines ombres qui se distinguent à peine du fond, de certaines feuilles de « Ramble Drawings ». Pour la plupart d’entre eux, les dessins montrés à Bilbao ne sont pas des travaux préparatoires à des tableaux (Seurat) ni des esquisses en prévision d’une sculpture (Serra). Ce sont des œuvres, souvent remarquables, faites pour elles-mêmes.

Serra/Seurat. Dessins,
jusqu’au 6 septembre, Musée Guggenheim Bilbao, Avenida Abandoibarra 2, Bilbao, Espagne.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : Seurat-Serra, duo graphique

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