Le centenaire de la mort de l’artiste est l’occasion de présenter ses débuts à un public français qui ignore souvent qu’ils ont pris place à Paris. Un parcours brillant et très didactique.

Paris. John Singer Sargent (1856-1925) est l’un des plus célèbres peintres des États-Unis, dont il a abondamment portraituré les élites jusqu’en 1907, année où il déclare ne plus vouloir répondre aux commandes. Pourtant, l’exposition commémorant le centenaire de sa mort, coorganisée par le Metropolitan Museum of Art (Met) de New York (où elle a déjà été présentée) et le Musée d’Orsay, s’intéresse presque exclusivement aux dix premières années de sa carrière, qui se passèrent à Paris de 1874 à 1884. Cette année-là, son Portrait de Madame ***, dit aussi Madame X (1883-1884) crée le scandale lors de sa présentation au Salon, et Sargent qui préparait depuis quelque temps son installation à Londres, l’emporte avec lui en Angleterre.

Le choix des musées de n’évoquer que dix ans de la jeunesse de l’artiste était hardi, mais on sait que Madame X, qui trône au centre du parcours à Paris, est « la Joconde » du Met. L’exposition a donné raison aux commissaires – Stephanie Herdrich et Alice Pratt Brown pour le Met et Caroline Corbeau-Parsons et Paul Perrin pour Orsay – en se révélant un succès (plus de 400 000 visiteurs).
Les 90 œuvres environ sont présentées de manière aérée, permettant au public de les voir confortablement. Mais cette contrainte signifie qu’il était impossible d’exposer aussi des témoins de l’environnement artistique du peintre à Paris. Seul le cartel de La Dame au gant (1869) de Carolus-Duran, le maître parisien de Sargent, rappelle de quels peintres ce grand portraitiste lui transmettait les enseignements. Par ailleurs, James Whistler est évoqué dans un cartel, dès le début de l’exposition, avec Dans le jardin du Luxembourg (1879). Camille Corot est cité à propos de Dans les oliviers, à Capri (1878), Claude Monet et Edgar Degas pour Conversation vénitienne dit aussi Rue de Venise (vers 1880-1882). L’influence impressionniste est également mentionnée à propos du Portrait de Mme Ramon Subercaseaux (vers 1880-1881) pour la pose du modèle et, pour l’exécution, dans le commentaire de Portraits d’enfants dit aussi Les Filles d’Edward Darley Boit (1882) qui est aussi rapproché de Vélasquez. Ainsi est-il remédié à l’absence de Las Meninas, After Velasquez (1879) de Sargent (mais d’autres copies d’après l’Espagnol sont montrées) et de Madame Charpentier et ses enfants (1878) d’Auguste Renoir qui étaient présentés à New York.

Les cartels renseignent aussi sur le milieu artistique de Sargent en évoquant par exemple les relations que lui présentèrent ses amis Carolus-Duran et Subercaseaux. Ce thème est développé dans une section « Portraits d’amis et d’artistes » qui situe bien l’Américain dans un large cercle parisien où l’on reconnaît Auguste Rodin et, plus loin, Claude Monet. Les portraits de Paul Helleu et Albert de Belleroche, ainsi que de la mère de Belleroche, évoquent à plusieurs endroits de l’exposition ces amis très proches du peintre. Étrangement, alors que l’exposition Caillebotte avait étonné de nombreux visiteurs français par son insistance à envisager, sans aucun début de preuve, l’homosexualité de celui-ci, ici rien n’est dit sur la probabilité que Sargent ait été, au moins un temps, amoureux de Belleroche. À peine est-il question dans le catalogue de la fascination qu’exerçait le jeune homme sur son aîné, particulièrement au moment de l’élaboration de Madame X. La biographie du peintre, John Singer Sargent. Le beau monde et son revers par Emily Eells, Isabelle Gadoin et Charlotte Ribeyrol (Cohen&Cohen, 2025), est plus explicite : « Au moment où Sargent travaille au portrait en pied de Madame X, il s’applique également à saisir les traits de Belleroche, qui mentionne quelque quatre-vingts séances de pose à cette période. Il y aurait donc plus dans le profil de Mme Gautreau [Madame X] que le simple effet d’un visage trop poudré… En croisant les traits du jeune homme qui le hante et de la femme du monde qui le fascine, Sargent brouille insidieusement les identités de genre. Paul Fisher [universitaire et biographe de Sargent] en déduit que “si Mme Gautreau était [alors] l’obsession publique du peintre, Belleroche était son obsession privée.” » Ces dessins de « traits croisés » et un beau portrait à l’huile de Belleroche (1883), alors âgé de 19 ans, sont exposés au début du parcours.
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°664 du 31 octobre 2025, avec le titre suivant : Sargent éblouit de nouveau Paris





