XIXe-XXe Siècles - La voici face à nous, tournant la tête pour nous présenter son profil, à la manière d’une reine de l’Antiquité égyptienne, poudrée d’un « blanc de perle qui bleuit l’épiderme, cadavérique et clownesque à la fois », décrit l’écrivain Joseph Péladan (1858-1918) en découvrant le tableau exposé au Salon de 1884.
L’œuvre fait scandale, au point que John Singer Sargent (1856-1925) la reprend dans son atelier pour remettre sur l’épaule de son modèle la bretelle qui, sur la première version de l’œuvre, en avait glissé. Est-ce un hasard s’il ne tarde pas d’ailleurs à quitter Paris, où il a commencé sa carrière dix ans auparavant, pour l’Angleterre ? On ne sait mais, aujourd’hui, le portrait de Madame X est l’un des chefs-d’œuvre venus du Metropolitan Museum of Art de New York, partenaire de l’exposition que le Musée d’Orsay consacre à ce peintre méconnu en France, révélant l’absolue modernité de ce portraitiste du Tout-Paris de la Belle Époque, tenu pour académique. À travers plus de 90 œuvres dont la plupart sont exposées pour la première fois en France, le parcours retrace l’ascension fulgurante à Paris de cet Américain – né en Italie –, pendant les dix premières années de sa carrière. Elle témoigne de ses voyages en Europe et en Afrique du Nord, au cours desquels cet ami de Claude Monet saisit la violence d’une vague sur un bateau pris dans une tempête, les jeux de lumière et de reflets sur une plage en Normandie, la sensualité d’une jeune Capriote dansant sur un toit – avant qu’il ne s’impose comme le portraitiste de la belle société parisienne. Un peintre mondain ? Peut-être. Mais ce qui frappe, c’est l’étrangeté de sa peinture. Elle éclate dans la dernière section du parcours. Les cimaises rouge foncé ou noires accentuent la puissance de ses portraits – celle du docteur Pozzi peint en robe de chambre rouge vif, à une époque où les hommes se font représenter en habit public, ou celle des enfants Pailleron, qui nous toisent avec dédain, dans un intérieur sombre au mur rougeâtre. Ils fascinèrent l’écrivain Henry James, au point d’inspirer l’un de ses romans, La Tour d’écrou. Les enfants y assassinent leur gouvernante. Et nous, visiteurs, ne sortons pas non plus indemnes.
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John Singer Sargent, peintre de l’étrange
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°790 du 1 novembre 2025, avec le titre suivant : John Singer Sargent, peintre de l’étrange







