Archéologie

CERVETERI

Radioscopie d’une cité étrusque

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2014 - 794 mots

LENS

Réunissant plus de 400 pièces archéologiques, le Louvre-Lens replace de façon magistrale la cité étrusque de Cerveteri au cœur des échanges méditerranéens.

« Le moment est venu de changer le regard sur la civilisation étrusque », prévient d’emblée Laurent Haumesser qui signe, aux côtés de Françoise Gaultier, le commissariat de cette exposition aussi savante que pédagogique. Car loin de se contenter d’aligner les chefs-d’œuvre conservés depuis près de deux siècles dans les plus grands musées d’Europe, le Louvre-Lens invite le visiteur à plonger au cœur de cette cité étrusque et de son histoire, sur plus d’un millénaire. De la découverte de la tombe Regolini-Galassi en 1836 (dont le choc fut tel qu’il aboutit à la création, en 1837, du Musée grégorien étrusque du Vatican) jusqu’aux toutes dernières pièces exhumées par le CNR (l’équivalent italien du CNRS) dans l’espace urbain de la ville, la moisson des objets comme des informations scientifiques a de quoi donner le vertige  ! Car celle que les auteurs anciens décrivaient comme «  la plus prospère et la plus peuplée des cités d’Étrurie  » est aussi celle qui est, de loin, la mieux documentée par l’archéologie. C’est donc à une véritable radioscopie de Cerveteri que se livre cette exposition qui replace, dans une muséographie aussi fluide qu’aérée, la place de la ville antique au sein des grandes puissances méditerranéennes.

Au fil de son parcours chronologique, le visiteur appréhende ainsi comment de petites communautés isolées se sont peu à peu organisées en une cité-État suffisamment riche et structurée pour dialoguer, dès le VIIIe  siècle avant notre ère, avec le reste de la péninsule italienne, mais aussi avec la Grèce et l’Orient. Ouverte aux échanges de produits, de techniques, de coutumes et d’idées, Cerveteri (Caisra pour les Étrusques, Caere pour les Romains, Agylla pour les Grecs) va donc s’imposer au fil des siècles comme une métropole dynamique et raffinée, un centre culturel cosmopolite vers lequel convergeront les marchandises les plus luxueuses en même temps que les artisans les plus talentueux du pourtour méditerranéen. Enrichies par les ressources du sous-sol en minerais de fer et les exportations d’huile, de vin et de sel, de grandes familles aristocratiques affirment ainsi, dès le VIIIe  siècle avant notre ère, leur prestige en déposant, dans de vastes tumulus creusés dans le tuf, un mobilier funéraire d’une préciosité inouïe. Reflétant l’adoption par cette élite de la coutume importée de Grèce du banquet, de splendides vases en céramique y côtoient de la vaisselle en argent, des importations de prestige avoisinent des productions locales, tel le fameux bucchero aux parois noires dont Cerveteri se fait la spécialité.

Assimilation
Loin d’être des consommateurs passifs, les Étrusques se révèlent, bien au contraire, d’extraordinaires passeurs et d’habiles artisans capables d’absorber les techniques et les influences étrangères pour mieux les réinventer. L’exposition du Louvre-Lens montre ainsi la façon dont les princes de Cerveteri empruntèrent l’alphabet aux Grecs installés en Italie du Sud pour en faire un signe de prestige social, et s’abreuvèrent à satiété des mythes hellènes pour construire leur propre identité. Point de hasard si ces batailles navales ou combats homériques déployés sur les vases trouvaient un écho favorable auprès d’une élite soucieuse de contrôler – y compris par la force  ! – l’ensemble des routes commerciales de la Méditerranée…

Cette aristocratie des VIIIe et VIIe  siècles avant notre ère va peu à peu s’effacer au profit d’une nouvelle entité dotée de magistrats et d’espaces urbains clairement définis  : la Cité. Désormais, le faste n’est plus au service d’un petit nombre d’individus et de leur gloire personnelle, mais il doit contribuer au bien-être et au rayonnement de la communauté tout entière. Véritable surprise de l’exposition, les Étrusques se révèlent ainsi des architectes hors pair, comme en témoigne la somptuosité des décors en terre cuite polychrome de leurs temples (dont ce Cheval ailé du Vatican, ou cet ensemble d’antéfixes à têtes de femmes, de Noirs, ou de gorgones). Peintres savoureux (l’exposition du Louvre-Lens déploie l’ensemble des « Plaques Campana » et leur décor mystérieux), ils furent aussi et surtout de géniaux coroplathes (artisans de la terre cuite). Ainsi, on n’est pas près d’oublier cette tête frémissante de sensualité représentant la déesse Leucothée et, bien sûr, le splendide Sarcophage des époux du Louvre dont la récente restauration a ressuscité la fraîcheur et l’éclat.

LES ÉTRUSQUES ET LA MÉDITERRANÉE. LA CITÉ DE CERVETERI,

jusqu'au 10 mars 2014, Musée du Louvre-Lens, 99 rue Paul Bert, 62300 Lens, tlj sauf mardi, 10h-18h, nocturne jusqu'aÌ€ 22h le premier vendredi du mois, de septembre aÌ€ juin. tel 03 21 18 62 62, www.louvrelens.fr, catalogue « Les Étrusques et la Méditerranée. La cité de Cerveteri », coédition Louvre-Lens/Somogy Éditions d'art, Paris, 350 pages, 39 €.

Commissaire : Françoise Gaultier et Laurent Haumesser
Nombre d'œuvres : plus de 400
Surface d'exposition : 1800 m2

Légende photo

Exposition Les Etrusques et la Méditerranée - Photo Louvre-Lens

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°404 du 3 janvier 2014, avec le titre suivant : Radioscopie d’une cité étrusque

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