Art ancien

RENAISSANCE

Place à la Renaissance portugaise

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 11 juillet 2022 - 565 mots

PARIS

Victime des aléas de l’Histoire, l’art portugais du XVIe siècle fait pourtant bien partie du récit européen. Le Louvre lui ouvre une salle cet été.

Paris. Au XVIe siècle, le petit royaume du Portugal devient la première puissance intercontinentale, et coloniale, grâce à ses navigateurs partis à la recherche des épices. Pendant ce temps, Rome, Florence et Venise en Italie, Anvers et Bruges côté flamand sont les foyers de la Renaissance artistique. Il semblerait presque que ces deux événements se sont déroulés sur des continents différents, dans des espaces-temps distincts. En invitant le Musée national d’art ancien de Lisbonne à présenter quelques-uns de ses trésors dans sa salle d’actualité, le Musée du Louvre raccroche le Portugal au wagon de l’histoire de l’art. Car oui, il y a bien eu une Renaissance portugaise. Si elle est méconnue, la qualité de sa production n’est pas en cause : elle doit davantage ce manque d’attention au séisme de 1755 à Lisbonne, qui a englouti une partie des œuvres et la quasi-intégralité des archives, puis à la sécularisation du XIXe siècle avec le transfert direct des tableaux des monastères aux musées portugais, sans passer par le marché de l’art. Pour le Louvre, qui souhaiterait combler ses lacunes en la matière, difficile donc de constituer un ensemble représentatif susceptible de remplir une salle.

Le musée lisboète comble provisoirement ce manque, en installant au Louvre une petite vingtaine d’œuvres allant de la seconde moitié du XVe siècle à la première du XVIe siècle. Si on peut lire cet accrochage comme une expression nationale de l’art renaissant, on doit aussi le voir comme la production d’un microcosme artistique, apparu sous l’impulsion de souverains mécènes, dont Manuel Ier (qui donne son nom à l’art dit « manuélin ») et Jean III.

Influence flamande

Autour du peintre royal Jorge Afonso (v. 1470-1540) se constitue une communauté d’artistes, unis par leur commanditaire commun puis par des liens familiaux : élève d’Afonso, Gregório Lopes (1490-1550) en sera le gendre, avant de devenir lui-même peintre officiel à la Cour. L’influence principale vient du nord de l’Europe, et elle n’est pas indirecte, puisque des artistes d’origine flamande intègrent dès le début ce petit milieu, comme Francisco Henriques ou Frei Carlos. Le magnifique Bon pasteur de ce dernier, présenté à Paris, dévoile une technique précise et une physionomie très flamande, mais affiche également quelques apports italiens : une tentative de sfumato en arrière-plan, une attention particulière au traitement des textures minérales.

Le séjour de Jan van Eyck au Portugal, la présence d’œuvres comme le triptyque de la Tentation de saint Antoine de Jérôme Bosch (aujourd’hui au musée lisboète), et les échanges commerciaux intenses entre les deux régions expliquent ce tropisme flamand au Portugal, que le plus connu des peintres portugais, Nuno Gonçalves (1420-1490), a ancré durablement dès la fin du XIVe siècle. Mais plus tard, c’est une influence presque vénitienne que l’on décèle dans les œuvres de Gregório Lopes : bien que le trait garde un tranchant tout flamand, la palette s’est éclaircie, l’iconographie devient plus légère. Difficile aussi de ne pas penser à Bosch devant une représentation anonyme de l’Enfer, l’un des trésors du Musée d’art ancien, une évocation des supplices réservés pour chacun des sept péchés capitaux. Dans ce clair-obscur grimaçant, se décèlent des objets exotiques, des figures plumées tout droit venues d’Amérique : oui, la colonisation des Amériques et la Renaissance font bien partie de la même histoire.

L’âge d’or de la Renaissance portugaise,
jusqu’au 10 septembre, Musée du Louvre, rue de Rivoli, 75001 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : Place à la Renaissance portugaise

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