Art contemporain

À Oiron, splendeurs et bizarreries

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 15 septembre 2021 - 858 mots

OIRON

« Curios & Mirabilia », la collection du château d’Oiron fêtera ses 30 ans en 2023. Cette belle endormie est réveillée par son dialogue réussi avec les 170 œuvres choisies au sein de la collection d’Antoine de Galbert.

Oiron (Deux-Sèvres). Quelle entrée en matière ! Le vestibule du château d’Oiron mériterait à lui seul le détour, pour le choc esthétique et historique qu’il offre à ses visiteurs à l’occasion de l’exposition « Grand bazar ». Au sol et au-dessus des portes, les armoiries de l’avant-dernière propriétaire des lieux se mêlent à celles de son époux. Cette inscription nobiliaire familiale entre en résonance avec les photographies des écoliers d’Oiron encastrés dans les boiseries, série réalisée sur place par Christian Boltanski dans le cadre de la stupéfiante commande publique que pilota au début des années 1990 Jean-Hubert Martin. Lancée par le ministère de la Culture, elle avait pour vocation d’enrichir ce patrimoine d’un ensemble d’art contemporain.

Le commissaire indépendant est revenu, à la demande du Centre des monuments nationaux, imaginer un dialogue entre ce fonds dénommé « Curios & Mirabilia » (Curiosités et Merveilles), et une sélection opérée dans la collection d’Antoine de Galbert. C’est un autre type de parenté qui s’affirme dans ce rapprochement entre l’ancien conservateur du patrimoine, dont l’exposition « Magiciens de la Terre » fit date, en 1989, par son audacieux décloisonnement entre les arts, et le fondateur de La Maison rouge, à Paris. « Nous avons en commun le goût d’un certain désordre, des choses inattendues et des mésalliances », souligne Antoine de Galbert dans un texte du catalogue.

C’est Jean-Hubert Martin qui a tenu à orchestrer autour du noble blason domestique scellé dans la mosaïque la rencontre incongrue entre Le Solitaire de Théo Mercier et La Petite Danseuse (Pawn) de Gilles Barbier. Le monstre gentil en spaghettis toise d’un regard triste la ballerine naine en tutu affublée du visage au crâne rasé de Gilles Barbier et chaussée de tongs, comme chacune des sculptures de cette série du plasticien. Vaguement poignant, le face-à-face grotesque forme une vignette photogénique. Peut-être faut-il voir dans cette saynette un point de vue caustique sur les excès de l’art contemporain. Sur ce goût du public, aussi, pour les phénomènes de foire, la société du spectacle. Quant aux écoliers portraiturés par Christian Boltanski, engoncés dans leurs vêtements devenus vintage, ils disent à leur façon la justesse d’une collection toujours d’actualité, mais aussi les liens noués grâce à elle entre le château et les habitants du village, au fil des générations. Voici, donc, pour le préambule.

Il faut prévoir du temps, au moins une après-midi, pour parcourir le dédale de l’édifice, salons, appartements, couloirs, tours… De la salle d’armes aux plafonds à caissons ouvragés, ornée des Corps en morceaux de Daniel Spoerri venus remplacer les portraits d’époque martiaux, à la chambre du Roi où les cadres vides ton sur ton de Claude Rutault instaurent un jeu subtil avec le monument classé. Dans la première ont été disposées quelques œuvres de la collection invitée : un Shaman à tête de cerf de Benoit Huot, une Peinture pourrie d’Hélène Delprat, un Misfit (mouton-autruche) de Thomas Grünfeld, une composition de Ben intitulée J’aime pas jeter– sous-entendu : « tout fait art ». Le propos tourne parfois à la farce : comme avec ces Slippers Rabbit sous vitrine de Wim Delvoye ironiquement placés à l’extrémité de la galerie Renaissance. Mais le parcours est d’une profusion folle, les quelque 170 œuvres sélectionnées s’ajoutant à celles d’un château dont le décor stupéfiant mélange allégrement les styles gothique et classique. Au sein du fonds « Curios & Mirabilia » se trouvent quelques pièces conceptuelles radicales, telles que les Dates Paintings d’On Kawara de l’année 1993, les empreintes de pinceau de Niele Toroni ou les écritures récemment restaurées de Lothar Baumgarten. Mais ce sont les créations témoignant d’une fascination pour les formes hybrides, entre l’homme et l’animal, comme les chimères de Thomas Grünfeld, qui offrent le plus d’affinités avec l’esprit cabinet de curiosités de la collection de Galbert.

Obsessions macabres et fantaisie sonore

L’exposition culmine sous les combles, où une taupe géante de Mark Dion (Les Nécrophores – L’Enterrement (Hommage à Henri Fabre), 2015) pend au bout d’une corde, ouvrant le bal : corps mutilés (de Roman Cieslewicz à Roland Topor), déformés (Parvis, de Louis Soutter), barbouillés (Angst, Arnulf Rainer) ; animaux estropiés (Sans titre, René Magritte) ; gamins sadiques (Jeu d’enfants no 1, Jérôme Zonder) ou « sadisés » (Henry Darger) ; peluches crucifiées (Bertrand Lavier, Annette Messager)… Jean-Hubert Martin explore avec une certaine délectation le versant sombre de la collection de Galbert.

À ce registre des obsessions macabres, on pourra préférer la parenthèse de légèreté et de fantaisie qu’offre l’installation sonore From here to ear de Céleste Boursier-Mougenot, volière de mandarins affairés dont les déplacements ailés composent en direct une petite musique pour instruments de percussion et guitare électrique. C’est l’un des clous de cette exposition qui empile les trésors tout en s’en moquant, à la façon de Stéphane Thidet écrasant un lingot d’or sous un pavé, une Rencontre que l’on fait en chemin, non loin de la salle des Jacqueries. Le mot de la fin revient à la devise sculptée sur la façade du château : « Hic terminus haeret » (« ici est fixé le terme »).

Grand bazar. Choix de Jean-Hubert Martin dans la collection Antoine de Galbert,
jusqu’au 3 octobre château d’Oiron, 10-12, rue du Château, Oiron, 79100 Plaines-et-Vallées.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°573 du 17 septembre 2021, avec le titre suivant : À Oiron, splendeurs et bizarreries

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