Art moderne

XXE SIÈCLE

À Milan, Mario Sironi sort du purgatoire

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 21 décembre 2021 - 651 mots

MILAN / ITALIE

La contribution de l’artiste longtemps mis au ban en raison de son engagement fasciste est aujourd’hui reconnue comme importante à l’art italien du XXe siècle.

Milan. La capitale du Futurisme rend hommage à l’une des figures les plus éloquentes de cette avant-garde : Mario Sironi (1885-1961). « Synthèse et grandeur » est le titre de la rétrospective présentée au Musée du Novecento à l’occasion du 60e anniversaire de la disparation du peintre. L’architecture rationaliste, sobre et imposante du palais de l’Arengario, qui abrite plusieurs de ses toiles, constitue le meilleur écrin possible. Cent dix œuvres sont présentées, provenant des plus grandes collections et musées italiens, de la Pinacothèque milanaise de Brera à la Fondation Guggenheim de Venise en passant par le Musée d’art moderne et contemporain de Trente et Rovereto. Elles reconstituent l’ensemble de la carrière de Mario Sironi. Ses toiles les plus significatives sont réunies ; certaines n’avaient pas été exposées depuis plus de cinquante ans, telles que Pandora (1922), Paese nella valle (1928), Case e Alberi (1929) ou encore L’Abbeverata, (1929, [voir ill.]).

Participation au Novecento

Cette rétrospective a été confiée à Elena Pontiggia, spécialiste de l’artiste dont elle a publié la première biographie. Elle a fait le choix d’un parcours chronologique : la jeunesse symboliste de Mario Sironi et l’influence du pointillisme, son adhésion au Futurisme dans le sillage de son amitié avec Umberto Boccioni, son interprétation personnelle de la métaphysique en 1919, la crise expressionniste au tournant des années 1930, la peinture monumentale exaltant le régime mussolinien et, enfin, les œuvres de la fin de sa vie où l’éloquence des grands formats disparaît au profit des tourments personnels exprimés dans des toiles de petite dimension.

Son adhésion au fascisme, jamais reniée, l’avait voué après la Seconde Guerre mondiale à une damnatio memoriae qui a été levée ces dernières années. Ce « fasciste à l’âme bolchevique », comme le définissait son ami l’artiste Arturo Martini, n’a jamais partagé l’antisémitisme et le racisme de la dictature mussolinienne.

Ce n’est pas avec le Duce, mais avec la maîtresse et l’égérie de ce dernier, la critique d’art Margherita Sarfatti, que Sironi entretient une étroite et prolifique relation. Elle est à l’origine de la création du Novecento à Milan en 1922. Ce mouvement, qui à côté de Sironi comprend les artistes Achille Funi, Leonardo Dudreville, Ubaldo Oppi ou Emilio Malerba, fait référence à l’Antiquité classique, à la pureté des formes et à l’harmonie dans la composition. « L’œuvre d’art doit avoir une âme moderne où l’on devine la forme antique », affirmait Emilio Malerba, donnant ainsi une définition de celles de Sironi. Il parvient à leur insuffler un dynamisme plastique non par le mouvement cher aux futuristes, mais par la masse de la forme. Ses intérêts artistiques vont du graphisme et de l’architecture à la peinture murale et à la fresque dont il est l’un représentants et théoriciens au cours des années 1930.

La rétrospective fait la part belle aux paysages urbains et à la figure humaine. Ses chefs-d’œuvre à la mélancolie bouleversante et aux teintes ocre sont réunis : Nudo (1923), la mystérieuse Donna con vaso (1924) ou encore le Pescatore (1925). Mais ce sont surtout ses vues des quartiers périphériques milanais qui ont assuré sa postérité. Ceux d’une modernité et d’un monde industriel aliénant qui le fascinent autant qu’ils lui font horreur. Ce contraste s’exprime dans des rues vides faisant écho au vide intérieur d’une dépression qui l’a accablé tout au long de son existence. Sintesi di paesaggio urbano (1921), La Cattedrale, (1921), Paesaggio urbano con tram exposé à la Biennale de Venise en 1928 ou encore Periferia (1943) en sont les plus beaux exemples. « Il nous a donné une leçon de tragédie avec ses paysages », commentait l’écrivain et résistant Gianni Rodari qui avait reconnu Sironi à la libération de Milan en 1945 et l’avait sauvé du lynchage. Une leçon personnelle et artistique que cette rétrospective met admirablement en scène pour qu’elle ne soit pas oubliée.

Mario Sironi, sintesi e grandiosità,
jusqu’au 27 mars 2022, Museo del Novecento, piazza Duomo, 8, Milan, Italie.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°579 du 10 décembre 2021, avec le titre suivant : À Milan, Mario Sironi sort du purgatoire

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