Art moderne

XXE SIÈCLE / EXPOLOGIE

Matisse et la Méditerranée : une histoire d’amour bien menée

Par Élodie Antoine · Le Journal des Arts

Le 21 août 2025 - 754 mots

Dans le cadre de la Biennale des arts et de l’océan, le Musée Matisse raconte le peintre dans son lien avec la Méditerranée, en confrontant les œuvres aux objets sources de son inspiration.

Nice (Alpes-Maritimes). Si l’exposition précédente, « Contrepoint Yves Klein dans les collections du Musée Matisse », était peu convaincante notamment dans la démonstration poussive qu’elle faisait de l’influence de Matisse sur Klein, la mise en œuvre(s) de la nouvelle proposition du musée qui explore les liens entre l’artiste et la Méditerranée est plus réussie. Il est vrai que le sujet est plus habituel.

Les liens qui unissent Henri Matisse (1869-1954) et la Méditerranée ont été à de nombreuses reprises abordés dans des livres et des expositions. Ils sont d’ailleurs très bien décrits par l’artiste lui-même : « Comme importance, c’est la Méditerranée. Moi qui ne la connaissais pas, qui suis un homme du Nord, c’est la Méditerranée qui m’a le plus frappé. (1) »

Prêts exceptionnels

Le parcours proposé à Nice se distingue par des prêts exceptionnels que le musée a obtenus à l’occasion de la Biennale des arts et de l’océan et de la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan. Il s’apprécie également par les liens que le commissaire tisse entre l’œuvre et l’environnement de Matisse, souvent matrice et source d’inspiration de l’œuvre.

« Matisse Méditerranée(s) » s’ouvre sur un dialogue fertile entre Les Baigneuses à la tortue (1907-1908, Musée d’art de Saint-Louis, Missouri, [voir ill.]), très influencées par sa découverte de Giotto à l’occasion d’un voyage en Italie, Luxe, calme et volupté (1904) et La Danse (1907), une petite sculpture en bois. C’est une chance inouïe que de pouvoir contempler ensemble ces œuvres dont la première ne ressortira sans doute pas des États-Unis avant des décennies, mais la force et les qualités de l’exposition ne résident pas uniquement dans la capacité du commissaire à réunir et faire dialoguer des chefs-d’œuvre.

La suite du parcours mêle intelligemment géographie et chronologie, faisant voyager le public à travers les lieux visités et figurés par le peintre grâce à une ligne bleue surplombant les œuvres (peintures et aquarelles) et sur laquelle est mentionnée la topographie (Corse, Saint-Tropez, Collioure, Marseille…). Les œuvres de cette section sont nombreuses, peut-être un peu trop (24 sur un seul mur). Cette première partie, conventionnelle dans son accrochage, peut décevoir le visiteur initié, les œuvres manquant significativement de respiration, mais elle devrait séduire le grand public par son approche didactique.

La volonté de pédagogie est en effet l’une des qualités principales de cette exposition. Dans cette perspective, le couloir habituellement consacré aux chronologies présente une cartographie retraçant la géographie des voyages de Matisse en Méditerranée. Sa précision entraîne le spectateur dans les déplacements successifs du peintre. Elle le prépare à identifier et à reconnaître dans les salles suivantes les lieux figurés par l’artiste dans ses œuvres.

Si le musée abrite dans ses collections de nombreux trésors qui permettent d’éclairer l’œuvre de Matisse (la Ville de Nice a reçu un ensemble significatif de peintures, dessins, estampes, lettres et gouaches découpées), le mobilier et les objets avec lesquels l’artiste vivait – 150 objets en tout conservés par le musée – n’avaient jusqu’alors jamais été aussi justement mis en perspective avec les œuvres du maître. C’est un des intérêts de cette exposition : confronter une sélection d’œuvres avec les modèles et/ou les objets présents dans l’atelier de Matisse et figurés dans ses toiles.

Entre autres exemples, on notera dès la première salle la présence d’un vase et d’une sculpture en bois. Plus loin, une vitrine présente très justement une tasse à café, un pot en étain, une cruche en porcelaine, une cafetière ainsi qu’un vase rapporté d’un séjour en Espagne, trésors que l’on retrouve au mur représentés dans les peintures, souvent sous la forme de natures mortes.

Enfin, dans la dernière salle trône le Fauteuil rocaille, de 1946, dont les accoudoirs singent des serpents de mer et les pieds, des hippocampes, tandis qu’une photographie témoigne de sa présence à Vence. La maison rouge, qui dans le parc des Arènes de Cimiez abrite depuis 1983 le Musée Matisse – cet espace domestique, avec son sol en terre cuite, ses plafonds décorés et ses persiennes –, a souvent été considérée comme inadaptée à la présentation des œuvres du maître, car sans doute un peu trop éloignée du white cube pour les magnifier. Ce dialogue entre les pièces des collections prend ici tout son sens et permet ce qui aurait peut-être été impossible, en tout cas moins éloquent, dans un cube blanc.

(1) Pierre Courthion, , Serge Guilbaut (dir.), Paris, Skira, 2017.

Matisse Méditerranée(s),
jusqu’au 8 septembre, Musée Matisse, 164, av. des Arènes-de-Cimiez, 06000 Nice.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°659 du 4 juillet 2025, avec le titre suivant : Matisse et la Méditerranée : une histoire d’amour bien menée

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