Photographie

Man Ray et la mode, une liaison remise au jour

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 14 février 2020 - 851 mots

MARSEILLE / BOUCHES-DU-RHONE

À Marseille, une double exposition autour du photographe américain retrace le parcours de celui qui a renouvelé l’image de la femme moderne.

Man Ray ne s’est jamais vanté d’avoir été un photographe de mode. L’artiste américain a encore moins signalé que nombre de ses portraits les plus célèbres sont issus de commandes passées durant l’entre-deux-guerres par de prestigieux magazines américains ou français. Le retour sur images du Musée Cantini et du château Borély recontextualise cette production ; le premier dans un déploiement de photographies et de documents souvent méconnus, voire inédits ; le second dans une belle sélection resserrée de modèles haute couture signés des plus grands noms de l’époque. Une double exposition coproduite par la Ville de Marseille avec la Réunion des musées nationaux-Grand Palais pour revisiter d’un côté tout un pan de la création photographique de Man Ray – qui recouvre la vie parisienne artistique, littéraire, cosmopolite ou mondaine dans laquelle l’artiste a aisément évolué –, et, de l’autre, pour évoquer l’évolution de la mode et de l’image de la femme moderne. 

Cette double perspective permet de comprendre, notamment par les mannequins en cire de l’époque, leurs attitudes et leur regard troublant de vérité, ce qui a pu fasciner Man Ray dans ces modèles de femme avec lesquels il a tant joué dans la mise en scène de ses images. La mode a été le terrain et le terreau d’expérimentations photographiques qui ont accru la renommée du photographe. Et, inversement, Man Ray a été, pour la mode, un agitateur participant aux bouleversements des codes de représentation alors en vigueur. 

Des débuts insipides
« Man Ray a d’abord trouvé dans la photographie de mode de quoi subvenir à ses besoins, surtout à son arrivée à Paris », précise Claude Miglietti, conservatrice du Musée Cantini. C’est par l’intermédiaire de Gabrièle Buffet, épouse de Francis Picabia, que Man Ray rencontre le célèbre couturier Paul Poiret, en 1922. Man Ray a trente-deux ans ; il ne connaît rien au genre, mais le portraitiste qu’il est devenu en s’installant à Paris a déjà une petite renommée dans le milieu artistique. Paul Poiret est justement à la recherche de « photos originales […], quelque chose de différents des trucs que fournissent habituellement les photographes de mode […], des portraits qui mettraient en avant l’élément humain », rappelle Alain Sayag dans le catalogue de l’exposition, rapportant les propos du photographe. 

« Il n’est alors ni techniquement, ni intellectuellement à la hauteur de ce défi. Ses premiers clichés se révèlent d’une platitude effrayante », écrit le conservateur honoraire au Centre Pompidou. « Pourtant, en quelques années, il va s’imposer comme un auteur novateur dont les images vont accompagner la libération du corps des femmes et placer la photographie au cœur de la représentation de la mode », poursuit-il, reléguant les illustrateurs à une part de plus en plus congrue dans les magazines. Rapidement Vogue, Harper’s Bazaar, Vanity Fair, Variétés ou Vu et les grandes marques de cosmétique ou d’accessoires lui passent commande, et les figures phares de la scène parisienne se font modèles et/ou objets de reportage. 

La mode et la publicité se disputent ses clichés
Peggy Guggenheim pose pour lui dans une robe de Paul Poiret, la comtesse de Beauchamp dans une série de robes du soir de Madeleine Vionnet. Les grands noms de la couture se prêtent également à des séances de pose, de Chanel à Elsa Schiaparelli qui compta parmi ses proches. Vogue publie Noire et Blanche, portrait de Kiki de Montparnasse tenant un masque baoulé, passé depuis à la postérité, tout comme Lydia, les larmes, image resserrée sur le regard d’une jeune femme au visage parsemé de perles de verre, réalisée pour une marque de mascara. Cadrages, recadrage, éclairages, solarisation, surimpression, collage, etc., du chic artistique aux audaces, sa palette est large. Mode et publicité ouvrent grand la porte aux pratiques, aux expérimentations de l’avant-garde artistique et de ses jeux en particulier entre modèle vivant et modèle en cire. 

Quelques-unes de ses images pour la mode font la une de La Révolution surréaliste ou la revue Minotaure. Excepté Jean-Charles Worth posant nu pour Man Ray, les hommes sont exempts de sa production photographique où se côtoient célébrités, muses et anonymes. « Au fond, ce qui l’attirait dans la mode, c’est le “sex-appeal” des modèles qui lui étaient livrés », souligne Alain Sayag. « Il ne tenta jamais de cacher sa prédilection pour les plaisirs éphémères de la chair. » Un album inédit de photos de nus prête d’ailleurs à questionnement, faute de savoir les raisons pour lesquelles Man Ray le constitua. 

Le parti pris du Musée Cantini de faire courir, tout au long des murs des salles d’exposition, des vitrines développant pages de magazines et autres documents en regard des photographies accrochées aux murs induit un va-et-vient fécond – la Fondation Marconi a prêté, pour l’occasion,  des clichés peu connus. Dans les décors somptueux du château Borély, Marie-Josée Linou et Catherine Örmen se sont focalisées sur l’évolution des coupes de cheveux, des coiffures ou du maquillage, et leur diffusion via les magazines ou des films publicitaires diffusés au cinéma. Leur présentation fait un bel écho aux photographies de Man Ray, et revient sur l’image de la femme élégante diffusée à cette époque. 

Man Ray et la mode

Jusqu’au 8 mars, Musée Cantini, 19, rue Grignan, 13006 Marseille ; Musée des Arts Décoratifs de la Faïence et de la Mode - Château Borély, 134, avenue Clot Bey, 13008 Marseille. 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°538 du 31 janvier 2020, avec le titre suivant : Man Ray et la mode, une liaison remise au jour

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