Photographie

La photo de mode est à la mode

Par Pascal Ory · Le Journal des Arts

Le 29 novembre 2017 - 576 mots

PHOTOGRAPHIE. « Irving Penn » au Grand Palais, présence de Richard Avedon ou de Willy Maywald dans l’immense exposition « Dior » des Arts décoratifs : la photographie de mode ne se cache plus. Elle y a mis du temps.

L’idée que la photographie est un art est, on le sait, presque aussi vieille qu’elle. Mais cette prétention de l’outsider n’avait de sens que si elle rencontrait une oreille compréhensive du côté de la culture établie. Or la photographie n’est vraiment entrée dans le cercle magique des arts majeurs que dans les années 1960, quand elle a réussi à forcer la porte des musées, ouvert ses propres galeries d’art, créé autour d’elle ses propres festivals. Mais, ce faisant, elle avait tout intérêt à se distinguer nettement des deux genres où elle paraissait synonyme d’instrumentalisation : le photojournalisme et la photographie commerciale. Au reste il était plus facile aux tenants du premier genre qu’à ceux du second de trouver grâce aux yeux des amateurs d’art. L’aventurier pouvait se voir reconnaître une petite place héroïque ; celui qui vendait son âme aux marchands, non.

Pour qu’on mît fin à l’ostracisme il fallut d’abord que « la vie et l’œuvre » de tel ou tel photographe monté sur le pavois fussent mieux connues et qu’il devînt alors impossible de séparer nettement le bon grain de l’ivraie. Il était arrivé à Capa de travailler dans la mode par amour pour Ingrid Bergman ou pour arrondir ses fins de mois ; c’est la mode qui avait permis à Man Ray de choisir décidément la photographie comme moyen d’expression ; c’est parce qu’il était d’abord reconnu comme photographe de mode que William Klein avait pu conquérir son droit à l’émancipation, etc. Tout était dit dès le premier photographe de mode patenté, Edward Steichen : pionnier de son art dans les années 1910, finissant cinquante ans plus tard dans la peau du responsable du département photo du MoMA.

Il fallut, plus largement, que le regard changeât sur les rapports entre art et argent, entre commanditaires et artistes. Et c’est précisément parce que la photographie n’était pas encore acceptée comme art que ses premières stars avaient dû, avant d’être reconnues, vivre de commandes commerciales, à l’instar de Robert Doisneau, pour lequel on a mis du temps à découvrir qu’il avait travaillé près d’une vingtaine d’années pour le magazine Vogue.

La reconnaissance n’est donc venue que très lentement. Il est significatif que la première exposition Cecil Beaton ait eu pour cadre non un musée d’art mais un musée de portraits de célébrités, la National Portrait Gallery de Londres, et c’est après leur mort que des lieux de prestige comme le Victoria and Albert Museum (Londres) ou le Centre Pompidou ont découvert l’existence d’un Horst P. Horst, d’un Guy Bourdin ou d’un Erwin Blumenfeld. La critique et l’histoire ont alors suivi, avec le retard de rigueur en pareille matière. Du coup elles ont transformé en autant de qualités ce qui jusque-là passait pour un défaut rédhibitoire : le studio, la pose, l’artifice sous toutes ses formes, l’érotisme même associé à la marchandise.

À vrai dire, elles auraient pu s’en préoccuper plus tôt, ne serait-ce qu’en explorant l’œuvre de Penn qui, dans les années 1950, à Paris, à Londres ou à New York, faisaient poser devant son objectif un crieur de journaux, une contorsionniste ou un garçon boucher, montés de la rue même, avec le même regard sérieux et sensuel qu’il posait, l’heure d’avant, sur un mannequin portant la dernière robe de Balenciaga.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°490 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : La photo de mode est à la mode

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