Art contemporain

Lionel Sabatté, la corne d’abondance

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 6 décembre 2021 - 800 mots

SAINT-ETIENNE

L’artiste utilise une large palette de matériaux inattendus pour construire ses œuvres : peaux mortes, métal, arbres ou curcuma.

© Lionel Sabatté.  CC BY-SA 4.0
Lionel Sabatté.
© L. Sabatté, 2018

Saint-Étienne. Lionel Sabatté (né en 1975) a un dernier trimestre 2021 particulièrement chargé puisque ce ne sont pas moins de six expositions qui lui sont (ou lui ont été) consacrées : une à New York, jusqu’au 18 décembre, chez Ceysson et Bénétière (sa galerie mère), une à Paris à la galerie 8+4, une à Moret-sur-Loing (Seine-et-Marne) au prieuré de Pont-Loup, une autre à Saint-Gratien (Val-d’Oise) à l’Espace Jacques-Villeglé (jusqu’au 11 décembre), une grande sculpture, Chouette chevêche, dans le cadre de la Fiac-Hors les murs au jardin des Tuileries et enfin, celle du Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne. Cette dernière est de loin la plus importante parce que, par son ampleur, sa façon de jouer avec les espaces et sa diversité, elle révèle parfaitement la démarche de l’artiste qui repose notamment sur sa capacité à conjuguer ses œuvres au cadre qui les accueille, sans rien enlever de leur puissance intrinsèque, de leur singularité et de leur complémentarité.

À Saint-Étienne, le ton est donné dès l’entrée, dans le hall du musée. L’olivier, avec lequel il a déjà travaillé, n’est pas particulièrement la spécialité de la ville. Pas plus que le frêne têtard qu’il a également abordé par le passé. Aussi Sabatté, qui aime composer avec les arbres, s’est-il mis en quête d’un châtaignier stéphanois. Il a récupéré un grand tronc (6 mètres de hauteur), mort de sécheresse, avec ses branches dénudées, au bout desquelles il a fait refleurir, non pas des chatons (la fleur de l’arbre), mais des peaux mortes de pieds, récupérées chez des podologues de la ville, qu’il a collées comme des bourgeons de couleur blanc crème. Délicat et saisissant. Une façon de transformer de la corne en pétale et, métaphoriquement, de redonner vie à des croûtes.

Squames, oxydes et filasse

Cette tonalité initiale résonne comme en écho dans la dernière salle, avec cette fois des milliers de peaux mortes, collées sur une toile et disposées en carrés concentriques. Comme si Josef Albers s’était converti à la pédicurie. Suspendue au beau milieu de l’espace, l’œuvre est accompagnée, sur les murs, par une série de papiers représentant des visages d’une grande densité, uniquement dessinés par des cheveux et de la poussière ramassée dans son atelier.

Les cinq autres salles déploient tout un éventail de techniques – sculpture, dessin, peinture, installation – et de matériaux qu’utilise Lionel Sabatté. À ceux déjà évoqués, s’ajoute en effet trois grands et magnifiques triptyques, fruits de l’attaque maîtrisée de différents oxydes sur des plaques de métal. Le résultat fusionne à la fois d’étonnants effets de matière (comme un magma), une richesse chromatique (du marron au jaune en passant par des turquoises) et des évocations de paysages entre la terre vue du ciel et Claude Monet dans un sous-bois ou en plongée sous-marine. Dans une salle suivante, d’étranges sculptures totémiques en bronze, entre branches verticales et stalagmites à la surface ébarbée, sont surmontées d’une forme qui évoque des oiseaux – ce que confirme le titre Champ d’oiseaux. Certains d’entre eux ont quitté leur branche pour aller s’accrocher directement sur les murs auréolés d’un halo de lumière qui donne à l’ensemble une tension et une suspension hitchcockiennes.

Aux thèmes du végétal et du minéral, ces œuvres introduisent celui de l’animal tout aussi constitutif de la démarche de Sabatté. Son riche bestiaire est souvent dominé par la figure du loup ou des oiseaux, à l’exemple de cette Chouette chevêche perchée au sommet d’une sorte de caverne ajourée au jardin des Tuileries. On retrouve d’ailleurs la matière dont était composée cette œuvre – un mélange de ciment, filasse, fer à béton – dans la plus grande installation réalisée à Saint-Étienne. Tout en rugosités, brèches et déchirures, elle traverse la plus grande salle dans toute sa diagonale, comme une haie plus ou moins franchissable, une ruine, ou une épave de navire échouée et potentiellement grouillante.

Une esthétique du rebut

Si l’on ajoute du curcuma, du thé noir du Yunnan, des brûlures, des ongles, du laiton, de l’étain, etc., on se rend vite compte que la palette de Sabatté est sans limite dès lors que l’utilisation d’une matière peut lui permettre de parler des cycles du temps et, par effet alchimique, de régénérer l’inerte. Comme l’indique le titre de l’exposition « Éclosion », il y a dans ses œuvres une force vitale et une énergie capables de redonner vie à ce qui n’en a plus, à ce qui appartient au domaine du rebut, du déchet, de l’abandonné, du « considéré comme mort ». Une façon aussi de structurer et d’armer son œuvre – comme le font certaines tiges de béton pour ses sculptures – de réflexions sur les préoccupations actuelles et essentielles concernant le recyclage, la récupération, l’écologie, en les transmutant vers des domaines esthétiques, poétiques et oniriques.

Lionel Sabatté, Éclosion,
jusqu’au 2 janvier 2022, Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole, rue Fernand-Léger, 42270 Saint-Priest-en-Jarez.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°578 du 26 novembre 2021, avec le titre suivant : Lionel Sabatté, la corne d’abondance

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