Exposition

Les scénographes d’exposition entre l’ombre et la lumière

Par Anne-Cécile Sanchez · L'ŒIL

Le 25 novembre 2025 - 807 mots

Au carrefour du théâtre, de l’architecture et des arts visuels, la scénographie d’exposition suscite de nombreuses vocations. Elle réclame autant d’humilité que de talent.

La scénographie d’exposition est une discipline encore jeune, qui ne cesse de questionner ses origines et ses enjeux. Le terme même de scénographie, apparu dans les années 1920, renvoie en France à l’histoire du théâtre et du décor, souligne la docteure en sciences de l’art Mathilde Roman (Habiter la scénographie, Éditions Manuella, 2025). Héritier de la scène, mais également investi par les architectes et les designers, ce secteur d’activité se trouve au carrefour de plusieurs compétences. Si la scénographie générale est enseignée à partir de 1969 à l’École nationale supérieure des arts décoratifs, c’est progressivement que s’opère la distinction entre la branche théâtrale et celle qui relève de l’espace d’exposition. L’enseignement du métier n’est une spécialisation affirmée que depuis une quinzaine d’années.« En collaboration avec le commissaire d’une exposition, le scénographe prend en charge la mise en espace des œuvres, des objets, des textes et de tout ce qui constitue le contenu de cette exposition. […] Il conçoit et crée le plan, le parcours, le dispositif de présentation et d’accrochage, le mobilier, les accessoires et tous les supports nécessaires à la mise en valeur des œuvres, objets ou autres éléments de contenu », peut-on lire en guise de définition professionnelle sur le site du syndicat l’Union des scénographes. Au sein des musées, la pratique de la scénographie fait son apparition au tournant des années 1980, alors que les institutions sont désireuses de prendre davantage en compte le visiteur en tant que « spectateur », comme dans le spectacle vivant.

Techniques et artifices

Les moyens techniques à la disposition des scénographes sont pour certains immédiatement visibles (cimaises, cartels, socles, podiums, vitrines…), quand d’autres, tels que la mise en lumière grâce à des éclairages, le choix des couleurs ou l’alternance des vides et des pleins, demeurent imperceptibles aux non-initiés. Autant d’artifices qui conditionnent pourtant la perception des œuvres et sont susceptibles de créer des chocs esthétiques. La transmission d’un savoir, mais aussi d’émotions, passe d’ailleurs parfois par des partis pris scénographiques très forts. À son ouverture en 2012, la Galerie du Temps, au Louvre-Lens, créa ainsi l’événement en réunissant dans un seul et même espace 5 000 ans d’histoire de l’art, à travers des œuvres provenant de différentes époques et civilisations. LeStudio Adrien Gardère, en charge de la scénographie de ce projet muséal, avait choisi « de supprimer tout cloisonnement et de créer une terrasse qui surplombe l’ensemble, offrant au public une perspective unique sur l’histoire de l’art ». En parallèle de cette présentation innovante, le long des murs revêtus d’aluminium anodisé, une frise chronologique rythmait l’espace et le temps. Douze ans plus tard, fin 2024, cette galerie emblématique a été renouvelée par l’intégration de nouveaux prêts d’œuvres et par une scénographie signée cette fois-ci de l’Atelier Atoy, selon un agencement mélangeant davantage les civilisations.

Intervention discrète

Dans le cadre, non pas d’une muséographie mais d’une exposition temporaire, la scénographie se met au service de la démarche de l’artiste ou du propos du commissaire, « par le truchement d’une création spatiale sensible, universellement évocatrice et signifiante », détaille la scénographe Kinga Grzech (« La Scénographie d’exposition, une médiation par l’espace », La Lettre de l’Ocim, n° 96, 2004). Quelle que soit sa créativité, cette mise en espace doit cependant éviter « de se substituer au sujet lui-même de l’exposition », souligne Kinga Grzech. Tout en valorisant l’architecture du lieu qui l’accueille. C’est parfois un casse-tête. « Plutôt que d’imposer un parcours, nous avons introduit de grands panneaux de tissus verticaux et lumineux – des “lanternes” – qui créent un système d’orientation [suite p. 40] et guident subtilement les visiteurs », expliquent ainsi les designers du duo Formafantasma chargé de la scénographie de l’exposition inaugurale du nouveau bâtiment de la Fondation Cartier pour l’art contemporain cet automne. Leur intervention discrète est une réponse au « paramètre inédit » que constituent les plateformes mobiles de l’édifice réaménagé par Jean Nouvel.

Le réemploi écologique

Outre ses enjeux pédagogiques de « faire savoir » – la déambulation est censée donner aux publics un sens et des clés de lecture –, la scénographie se trouve également, depuis quelques années, tenue d’intégrer des impératifs d’éco-conception. « Une exposition est source de pollution », souligne-t-on au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne. Le MAMC+, comme d’autres établissements culturels, s’est par conséquent engagé dans une ambitieuse démarche environnementale de recyclage de ses scénographies : « plaques de plâtre, peintures, enduits, rails et montants en aluminium, bois composites ou massifs, visserie, ne sont qu’un extrait de la longue liste des matériaux nécessaires » que les institutions tentent désormais de réutiliser au mieux. Pour relever ces nombreux défis, un bon scénographe doit faire preuve tout à la fois de sensibilité artistique, d’un sens très sûr de l’espace, de solides compétences techniques, d’une excellente connaissance de l’histoire de l’art… et d’une grande humilité, puisqu’il œuvre dans l’ombre.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°791 du 1 décembre 2025, avec le titre suivant : Les scénographes d’exposition entre l’ombre et la lumière

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