Monument

Musée national de la marine

Les phares, un patrimoine à la dérive ?

Du 7 mars au 4 novembre 2012

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 21 février 2012 - 1107 mots

PARIS

Alors que leur avenir suscite encore quelques inquiétudes, les phares situés sur le littoral français, dont la majorité ont été élevées au IXe siècle, font l’objet d’une exposition à Paris.

C'est une bien étrange construction, reconnaissable parmi toutes, dont l’histoire reste pourtant encore très largement méconnue. Présent sur toutes les côtes françaises, avec une forte concentration en Bretagne, le phare français est l’un des plus puissants symboles de la maritimité hexagonale. Malgré son automatisation récente, il continue en effet à exercer une fascination, relayée notamment par les saisissantes photographies de ces phares balayés par les déferlantes, signées Philip Plisson ou Jean Guichard. Autant d’images qui sont devenues de véritables icônes, des « marqueurs d’une passion patrimoniale », selon Vincent Guigueno, chargé de mission Patrimoine des phares et balises à la direction des Affaires maritimes et commissaire de cette exposition. Quitte à véhiculer une certaine idée, focalisée sur les phares en mer, tels Ar-Men, érigé sur un rocher à peine découvert de la redoutable chaussée de Sein, Kéréon, entre Ouessant et Molène, ou la Jument d’Ouessant. Ces constructions, rebaptisées « l’enfer » par leurs gardiens pour les conditions de vie extrêmes qu’ils y ont connues, ne représentent pourtant que vingt-cinq des cent trente phares du littoral hexagonal.

Le phare de Cordouan
En racontant toute l’histoire des phares, de l’époque glorieuse de leur érection à celle de leur automatisation, à partir de quelque six cent cinquante objets mis en scène par Nathalie Crinière, le Musée de la marine comble donc aujourd’hui une lacune. L’aventure débute en 1611 avec l’achèvement du phare de Cordouan. Après vingt-sept ans de travaux, l’édifice, construit pour protéger l’embouchure de la Gironde, impressionne l’Europe entière. Signe de l’importance accordée à cet ouvrage, son écriture architecturale très soignée lui vaudra, deux siècles plus tard, d’être classé au titre des monuments historiques (1862). S’il a été surélevé à la fin du siècle, son gabarit d’origine demeure encore bien connu grâce aux gravures de Claude Chastillon.

Aussi impressionnante soit-elle, la construction n’aura toutefois pas de descendance immédiate. Il faudra attendre la fin du siècle pour que les anciennes tours à feu médiévales, jalonnant les grandes routes maritimes, soient remplacées. La politique de protection du royaume mise en œuvre par Louis XIV aura néanmoins des conséquences sur le littoral, l’entreprise de fortification de Vauban passant aussi par la construction de phares, tel celui du Stiff, point culminant de l’île d’Ouessant, achevé en 1699. Peu avant 1800, la France ne compte cependant qu’une quinzaine de phares alors que cinquante-quatre sont déjà dénombrés sur les côtes anglaises.

La lentille de Fresnel
Le mouvement va alors s’intensifier avec la création, en 1811, d’une commission des Phares. Devenue l’affaire des ingénieurs du corps des Ponts et Chaussées, la construction des phares fait l’objet d’une véritable politique. C’est dans ce contexte qu’intervient un personnage qui va assurer leur notoriété internationale. En 1819, Augustin Fresnel (1788-1827) est appelé à Paris auprès de François Arago pour devenir secrétaire de la nouvelle commission des Phares. Passionné d’optique, le savant met au point le système des « phares-étoiles » grâce à un appareil lenticulaire – qui porte toujours son nom – conférant « vivacité et blancheur » au signal lumineux.

Grâce à ces avancées techniques, les mises en chantier, supervisées par le service des Phares implanté sur la colline de Chaillot, à Paris – son phare sera détruit... en 1992, dans l’indifférence générale –, se multiplient dès 1825. Avec des entreprises aussi héroïques que la construction des phares en mer.

Se met alors en place une typologie architecturale spécifique. Élevé sur un piédestal, qui abrite en général le logement du gardien, le phare comprend un fût circulaire surmonté d’un couronnement avec lanterne et appareil lenticulaire, le tout étant lancé en général à une cinquantaine de mètres de hauteur. S’illustrera dans cette entreprise un ingénieur, Léonce Reynaud (1803-1880), grand amateur d’éclectisme, connu également pour avoir construit la première gare du Nord, à Paris, et architecte d’une cinquantaine de phares, des Héaux-de-Bréhat (1834) au terrible Ar-Men, allumé après sa mort, en 1881, après dix-sept années de travaux titanesques, au cours desquels les ouvriers étaient parfois attachés aux rochers pour ne pas être emportés par les déferlantes.

Des monuments historiques
Le XIXe siècle sera donc le siècle des phares français et l’apogée pour une industrie dédiée à cette technologie de pointe, mise en scène dans les expositions universelles. Des modèles de phares métalliques, démontables, sont conçus à Paris et expédiés vers les colonies, tel le célèbre phare Amédée remonté en Nouvelle-Calédonie. En 1855, un décor du musée ouvert au sein du service des Phares, à Paris, illustre l’ambition du secteur. Commandée à Jean-Léon Gérôme, une frise figure les grandes nations maritimes faisant allégeance au buste de Fresnel...

Mais le vent va tourner. La rapidité nouvelle des bateaux impose désormais une modernisation des signaux, qui aboutira, quelques décennies plus tard, à leur automatisation. Cela alors que la diffusion de la technologie GPS dans le domaine civil, et donc dans la navigation, finira de transformer ces monuments et de rendre caduc le rôle des gardiens de phares.

Comme un symbole, Ar-Men est automatisé en 1990, l’histoire s’achevant en 2004, à Kéréon. Avec la vacance des bâtiments, s’ouvre une phase de mutation, ponctuée d’interrogations et de nostalgie autour de cette aventure technique, architecturale et humaine en passe de se terminer. Le temps est venu pour les phares d’entrer dans le champ patrimonial. Le classement au titre des monuments historiques, en 2010, de quatorze de ces lieux jadis assimilés à l’enfermement en est le signe. Cela alors que, pendant un siècle et demi, seul Cordouan aura eu le privilège d’être considéré officiellement comme un monument.

Tévennec se rêve en « Villa Médicis »

En pointe dans le combat pour la sauvegarde des phares, la Société nationale pour le patrimoine des phares et balises (SNPB) s’est engagée dans une aventure un peu folle. En juin 2011, l’association a signé avec l’État une convention d’occupation de l’îlot de Tévennec pour une durée de dix ans. Pendant cette période, elle pourra donc développer des projets sur ce rocher seulement construit d’une maison-phare, perdu au milieu des flots à l’entrée du terrible raz de Sein (Finistère). Le président de la SNPB, Marc Pointud, caresse ainsi le projet de transformer les lieux en résidence d’artistes d’un type nouveau, réservée aux amateurs d’isolement. Auparavant, il faudra toutefois remettre en état les bâtiments, abandonnés depuis 1910 et soumis inlassablement aux tempêtes. Leur restauration, qui attend le soutien de généreux mécènes, est estimée à plus de deux millions d’euros. Tévennec serait alors l’un de ces phares reconvertis dans le cadre d’initiatives privées, comme celui de Fatouville-Grestain (Eure), situé à proximité de Honfleur. Soit dans un environnement nettement plus hospitalier, qui a facilité sa transformation en chambres d’hôtes.

Questions à Vincent Guigueno, commissaire de l’exposition

Cette exposition est-elle le signe que les phares sont bel et bien devenus des éléments patrimoniaux ?
Cela prouve que nous avançons. Lors du « Grenelle de la mer », en 2009, l’inventaire des atouts maritimes et littoraux de la France avait intégré les phares. En 2000, un inventaire a été lancé, avec le ministère de la Culture, et s’est traduit en demande de protection. Toutefois, il s’agit bien de la première exposition sur le sujet au Musée de la marine. C’est le signe qu’il a pu en effet exister un décalage entre la popularité des phares et leur reconnaissance par les institutions en charge du patrimoine et de la culture.

L’état sanitaire de ces édifices suscite-t-il l’inquiétude ?
La crainte est limitée aux phares en mer, notamment en Iroise. Un Observatoire des phares en mer a été créé pour établir un diagnostic plus précis et plus patrimonial. En ce qui concerne les autres phares, la situation est très variable.

Que vont devenir ces phares ?
Sur les cent cinquante phares français, dont vingt se trouvent outre-mer, une quarantaine ont déjà été reconvertis. Seuls les phares éteints peuvent toutefois être cédés. Une soixantaine de phares doivent également être transférés au Conservatoire du littoral. D’autres le seront aux collectivités territoriales candidates.


« Phares », Musée national de la marine, Paris-16e, du 7 mars au 4 novembre, www.musee-marine.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°644 du 1 mars 2012, avec le titre suivant : Les phares, un patrimoine à la dérive”Š?

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