Art contemporain

ART CONTEMPORAIN

Les expérimentations sensorielles d’Olafur Eliasson

Par Stéphane Renault · Le Journal des Arts

Le 7 février 2018 - 820 mots

Le plasticien islando-danois présente une sélection d’œuvres récentes à l’Espace Muraille, lieu privé fondé par des collectionneurs genevois. Une invitation au voyage autour de la perception.

Genève. Un passe-muraille à l’Espace Muraille ? À défaut de traverser les murs stricto sensu, les seize œuvres présentées dans l’exposition « Objets définis par l’activité » peuvent en donner ponctuellement l’illusion. À travers des jeux d’effets optiques, chaque pièce modifie à sa manière notre perception, dans une interaction particulièrement propice à l’expérimentation sensorielle. L’artiste n’en est pas à son coup d’essai. Il illumina d’un intense plein soleil la Turbine Hall de la Tate Modern avant de s’investir dans des projets à haute résonance écologique et sociale - Little Sun, lampe à prix modique, apporte depuis sa création il y a six ans la lumière et l’énergie à des populations entières en Afrique et ailleurs. La sélection de pièces réalisées en équipe dans son studio berlinois offre ici un résumé du vocabulaire formel et des préoccupations du plasticien.

Dans les caves voûtées sur deux étages de son splendide hôtel particulier classé XVIIIe, situé dans la vieille ville de Genève, Caroline Freymond expliquait lors de l’ouverture avoir fait la première acquisition d’une de ses œuvres en 2012. Depuis, la collectionneuse et son mari suivent avec attention son travail. À l’initiative de Laurence Dreyfus, art advisor, l’exposition est en quelque sorte l’aboutissement de cette rencontre. Avant lui, d’autres artistes ont investi le lieu : Monique Frydman, Shirazeh Houshiary, Tomàs Saraceno, Sheila Hicks et Edmund de Waal.

Jeux d’illusions et perception

La première salle rassemble plusieurs installations, synthèses de ses derniers développements sur les phénomènes de réflexion ou de réfraction de la lumière. Faisant face à un grand miroir composé d’ellipses colorées, The we mirror semble pénétré par la structure de bois et métal qui s’y reflète. Pour l’artiste : « Un principe d’illusion, symbolique. Comme un tour de magie. Une manière de dire combien nous pouvons facilement être trompés par ce que nous voyons et prenons pour la réalité alors qu’il s’agit avant tout d’une interprétation. » Plus loin, une sculpture de mosaïque de verre, kaléidoscopique, projet réduit de fenêtre en trois dimensions à la composition géométrique côtoie un morceau de lave islandaise peint en blanc à moitié, en rotation face à un miroir circulaire, comme en suspension dans l’espace. Le reflet est tantôt blanc, tantôt noir. Le jour, la nuit, « comme un petit soleil ». Une boule de verre joue de la diffraction de la lumière. Une métaphore : « Si vous réalisez que la réalité du monde est relative en fonction de la perception que vous en avez, vous devenez plus enclin à créer votre propre réalité et non plus à en être uniquement consommateur, voire victime. » Idéaliste ? Conscient d’avoir grandi dans un contexte scandinave protecteur, il y voit un enjeu plus large de démocratie.

En descendant d’un étage, l’expérience s’intensifie avec des œuvres ayant en commun d’engager fortement, physiquement le spectateur. Dans Object defined by activity (then), de 2009, une fontaine frappée d’une lumière stroboscopique (épileptiques s’abstenir) crée l’illusion que l’eau est figée, comme un flash d’appareil photo. « La lumière stroboscopique agit comme une machine à rendre l’invisible visible. On ne peut pas voir le temps arrêté. Or dans ce cas précis, nous le voyons. »

Certaines pièces n’auraient pas été reniées par les pionniers de l’art optique et de l’art cinétique. D’autres s’apparentent à des machines optiques, instruments de savant philosophe alchimiste de la Renaissance. « Les œuvres présentées ici sont de petites expérimentations, adaptées à cet espace, à une échelle plus domestique que pour des commandes publiques. J’ai pensé que ce serait la meilleure solution pour répondre au contexte. Cela ressemble assez à la façon dont je travaille dans mon studio et reflète mes recherches actuelles sur la perception, notre rapport au monde. Rapprocher les données scientifiques et l’univers sensoriel m’intéresse. » L’ensemble tient du laboratoire, de l’expérience intime, sans toutefois atteindre la puissance visuelle des projets de grande ampleur, déployés dans l’espace, qui ont fait la réputation d’Eliasson. Ce qui n’enlève rien à l’intérêt de la démarche de cet artiste toujours en recherche, aux frontières de l’intellect et du sensible. « Au-delà de l’horizon se situe l’inconnu. Or ce n’est pas nécessairement juste une ligne, mais peut-être un espace entre ce que nous connaissons et ce que nous ignorons, entre ce qui nous est familier et ce que nous ne connaissons pas encore. C’est un endroit où nous mettons en doute le vrai du faux, un espace parfait si vous voulez remettre en question nos certitudes. » Et de conclure sur l’origine de ses tropismes : « Au début des années 1970, au moment de la crise pétrolière, l’énergie était rationnée en Islande. Après le dîner, une grosse cloche retentissait et toute la ville était soudain plongée dans le noir. Toute la famille s’asseyait devant la fenêtre et regardait la lumière bleue qui la traversait. Pour un enfant, c’était fascinant. Observer la qualité de la lumière est resté dans ma sensibilité. »

informations

Objets définis par l’activité.

Espace Muraille, place des Casemates 5, Genève (Suisse), jusqu’au 28 avril.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°494 du 2 février 2018, avec le titre suivant : Les expérimentations sensorielles d’Olafur Eliasson

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