Les collectionneurs parlent des marchands

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 4 avril 1997 - 551 mots

Ventes aux enchères, achats en galerie : deux collectionneurs de dessins livrent leur expérience des arcanes du marché.

"À Paris, le tour des marchands sérieux est vite fait", affirme M. X, ingénieur chimiste de formation, qui collectionne depuis dix ans des tableaux et dessins italiens et français des XVIe et XVIIe siècles. Vrai connaisseur à l’ancienne, ce collectionneur parisien connaît bien les rouages du marché et parle sans détours : "Il y a des marchands en qui j’ai toute confiance. Je les fréquente volontiers, certains sont devenus des amis. Et il y a ceux en qui j’ai une confiance relative, et ceux en qui je n’ai pas du tout confiance." Les apparences sont souvent trompeuses : "Ce n’est pas le marchand le mieux fourni qui sera le plus honnête, loin de là. Ces marchands peu scrupuleux sont bien connus du marché, et les dérapages finissent toujours par se savoir. Alors l’écrémage se fait : on ne peut se maintenir longtemps en étant malhonnête." Faut-il se tourner vers les salles de vente ? "Oui, mais il ne faut pas se laisser emporter par les enchères et rester maître de soi. On trouve en général à des prix moins élevés pour la bonne raison que les marchands achètent tous un jour ou l’autre en vente publique." Là où le bât blesse, c’est que "80 % de la marchandise provient des mêmes marchands." "Le cercle est assez fermé," regrette M. X. Entre les mains du marchand, un dessin issu d’une vente pourra devenir "une pièce achetée chez un particulier, où elle est restée depuis des générations..." Ultime doléance, le prix des dessins, qui a "considérablement augmenté et est totalement disproportionné par rapport à celui de la peinture. Mais il est plus facile de faire des découvertes en dessin qu’en peinture."

Louis-Antoine Prat, le plus grand collectionneur de dessins connu en France, s’exprime volontiers, et sa remarquable collection de 250 pièces n’est pas reléguée au secret, comme la plupart. Exposée au Musée du Louvre en 1995, elle offre une vision très complète de l’école française de 1600 à 1900. "En 1974, lorsque j’ai commencé ma collection, il y avait moins de marchands. Actuellement, le marché est saturé par de petits courtiers qui gravitent dans un immense réseau entre les Puces, les salles de vente de Paris, celles de province..." Selon lui, les collectionneurs se partagent en deux catégories : ceux qui achètent chez les marchands et ceux qui vont en salles des ventes. "Leur argument est le suivant : les marchands se fournissent en salles des ventes - donc la marchandise y est moins chère ! Mais c’est inexact." En effet, dans une vente, lorsqu’un marchand et un amateur veulent la même pièce, l’un "pousse l’autre" à faire monter les enchères. Pour cette raison, Louis-Antoine Prat, encore à la recherche d’un Gauguin et d’un Puget, achète à part égale, "sans a priori", chez les marchands et les commissaires-priseurs. "Les règles du jeu ne sont pas les mêmes. En galerie, le prix est fixé et négocié à la baisse par le collectionneur. En vente, le prix n’est pas fixé mais ‘négocié à la hausse’ par l’intéressé." "Les marchands m’ont beaucoup aidé", reconnaît Louis-Antoine Prat. Mais la "raréfaction" des pièces importantes sur le marché est ce qui le désole le plus."Le merle blanc se fait rare !"

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°35 du 4 avril 1997, avec le titre suivant : Les collectionneurs parlent des marchands

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