L’univers du dessin peut paraître complexe au profane, qui a du mal à s’orienter au milieu de la diversité des styles, du foisonnement des artistes ou des écoles, du vaste choix des techniques sur papier... Le dessin est réputé plus difficile que la peinture, exigeant davantage de connaissances de la part de l’amateur. Très large, la gamme de prix laisse perplexe celui qui souhaite démarrer une collection. Pourtant, les opportunités ne manquent pas.
"Il faut savoir regarder le dessin. Voir par exemple s’il a été lavé, restauré", conseille Gérard Auguier, expert en dessins anciens, qui recommande un examen minutieux. Il faut regarder le dessin en lumière ou à l’envers pour déceler d’éventuelles restaurations sur des manques aux coins de la feuille, par exemple, ce que les amateurs américains font systématiquement. Bien entendu, les collectionneurs de dessins modernes seront beaucoup plus exigeants sur l’état de conservation, majeur, et celui du papier. "La fraîcheur est aussi très importante, car on a le choix dans ce domaine", précise Marc Blondeau, expert en art moderne et contemporain. Le galeriste Nicolas Joly déconseille d’acheter un dessin ancien dont l’état est "ruiné", sauf s’il a un intérêt historique majeur, mais préconise dans certains cas une restauration à bon escient. Deux attitudes prévalent actuellement en matière de restauration. Beaucoup de professionnels se méfient encore de la restauration des dessins, une technique relativement récente, et surtout irréversible, très rarement pratiquée dans les musées français, qui gardent les œuvres dans leur "jus". Aux États-Unis, institutionnels et collectionneurs ne laissent pas les dessins se délabrer et interviennent volontiers. Mais un dessin peut "perdre de son épiderme" et la feuille ressortir trop blanchie par les bains de nettoyage. Face aux détracteurs, les convaincus tel le marchand Bertrand Talabardon, évoquent les "interventions quasi miraculeuses" si elles sont effectuées par un très bon restaurateur. La plupart des spécialistes suggèrent une approche prudente. "On peut atténuer des rousseurs, des piqûres de champignons, éclaircir le papier", estime Marianne Roland-Michel, de la galerie Cailleux. Le coût d’une restauration de dessin oscille en moyenne entre 1 000 et 3 000 francs.
Un dessin doit-il être signé ? Selon l’expert André Schœller, cette caractéristique importe guère au "vrai collectionneur", mais peut être exigée par certains amateurs "plus pointilleux". Études préparatoires de tableaux, les dessins anciens restaient souvent dans l’état d’esprit de l’ébauche, par conséquent non signés. "Il ne faut pas être obsédé par l’attribution ou la signature, recommande Gérard Auguier, les dessins sont rarement signés avant le XVIIIe siècle." Le dessin moderne n’est pas à la même enseigne, souligne Marc Blondeau : "Au XXe siècle, il y a une autonomie de l’œuvre dessiné par rapport à l’œuvre peint. D’où l’importance de la signature, et éventuellement de la date."
La question de l’attribution concerne essentiellement les dessins anciens et n’a pas fini de faire couler de l’encre. "Jeu intellectuel", "travail d’enquête policière", la recherche d’attribution est fondamentale pour un dessin et passionne les collectionneurs. En tirant un fil d’Ariane, il peut retrouver le tableau auquel le dessin a servi de trame, puis l’artiste ou l’école, et parfois découvrir les avatars de l’histoire de l’œuvre. Mais de nombreux dessins restent anonymes ou simplement rattachés à une "école de..."."On donne une attribution par culture ou par ignorance", lance Jean-François Baroni avec humour, qui rappelle que "le prix monte s’il y a un nom, une garantie d’attribution." Certaines attributions sont parfois révisées. "Il faut alors dédramatiser le changement d’attribution", estime Gérard Auguier. Enfin, dans le domaine du dessin ancien, les copies d’époque sont monnaie courante, mais n’ont évidemment pas la valeur des originaux.
État, signature, attribution sont des paramètres importants à connaître pour le profane, mais ils ne doivent pas l’éloigner du cœur du sujet : le dessin. Commencer une collection de dessins est, aux yeux de Gérard Auguier, "une entreprise complexe et difficile, qui reflète le caractère, la culture et le goût" de celui qui en a l’initiative. Pour cela, il faut lire "pour le savoir", selon Bruno de Bayser, expert en dessin qui insiste surtout sur un apprentissage par la "présence physique, primordiale, du dessin". Ce contact avec le papier est la première chose qui a marqué Nicolas Joly. Il a commencé sa collection personnelle à 15 ans, en achetant avec toutes ses économies – 800 francs – un dessin d’architecture du XVIIIe siècle. "J’ai eu la chance d’être formé par un vieil antiquaire de la Rive Gauche, et par un libraire chez qui je découvrais des cartons, des livres, des dessins..." L’initiation passe également par une longue éducation de l’œil. "Il faut voir beaucoup de dessins. Aller au Cabinet des dessins du Louvre, à des expositions, à l’Hôtel Drouot", suggère Bruno de Bayser. Pour Gérard Auguier, il est fondamendal d’aller "parler avec les marchands et les experts, établir un rapport de confiance et de dialogue avec les hommes de l’art."
L’un des aspects les plus surprenants de ce marché est sa très vaste gamme de prix : entre 10 000 et un million de francs pour un dessin de qualité. "La fourchette resserrée se situe entre 30 000 et 150 000 francs", constate Nicolas Joly. Que peut-on acheter dans les premiers prix ? "À moins de 12 000 francs, indique Chantal Kiener, de la galerie Fischer-Kiener, on peut trouver des dessins intéressants. Ce ne sont pas de grands noms, mais de beaux dessins, qui ont de la personalité, de la force. Notre objectif est de faire connaître et apprécier le dessin, pour donner envie aux gens de collectionner, même si notre marge est faible." Ce souci de proposer aux collectionneurs des prix de niveaux très divers est partagée par de nombreux marchands, qui y voient un "investissement sur l’avenir" susceptible de toucher des collectionneurs potentiels. Meilleure opportunité du moment, le dessin du XIXe siècle est un domaine où l’on trouve encore un grand nombre de pièces très abordables, selon Bruno de Bayser. André Schœller signale pour sa part des artistes qui ne sont pas encore à leur prix : La Fresnaye et Henri Laurens, pour les dessins importants ; les aquarelles fraîches de Jongkind... À l’autre extrémité de l’échelle des prix, "les très belles pièces se vendent de plus en plus cher, remarque Nicolas Joly, car le dessin est un domaine où l’on peut encore trouver des œuvres majeures d’artistes reconnus. Il est préférable d’acquérir un beau dessin que cinq médiocres, renoncer à accumuler afin de construire sa collection." Collection éclectique, collection thématique ? Tout est affaire de goût personnel selon les marchands, qui conseillent d’acheter sur un coup de cœur. "Il est bon d’acheter ce qui vous plaît, suggère la galeriste Annie Martinez-Prouté, et d’essayer de s’attacher à une qualité. Ce n’est pas forcément un artiste, connu ou non. Cela peut être une école mineure, régionale". Un thème de collection est très souvent le fil conducteur : XVIIe, XVIIIe, portraits, paysages, vues de Paris, esquisses... "La collection évolue selon les moyens, précise Bruno de Bayser.
Collectionneur, on l’est jusqu’au bout. Seul l’argent freine." Le temps donne sa pleine valeur à la collection, ses choix étant confirmés ou non sur le long terme. "Pourquoi peut-on se tromper ? s’interroge François Lorenceau. Parce que le goût d’une personne n’est pas immuable. On évolue, on va vers plus de raffinement." Le simple exemple de la collection de Louis-Antoine Prat, magnifique ensemble de dessins du XVIe au XXe siècle réunis en l’espace de vingt ans, en fait rêver plus d’un.
De bistre à trois crayons : les procédés traditionnels
Bistre : Obtenu avec de la suie de cheminée, il est d’un usage courant du XIVe au XIXe siècle. Ses tonalités chaudes offrent des nuances variées.
Craie : Pierre blanche dont l’emploi comme rehaut sur papier teinté s’est généralisé au XVIIe siècle.
Encres : La plus fréquemment employée est celle de noix de galle, une décoction de noix de galle additionnée de vitriol, de gomme arabique ou d’essence de thérébentine, qui brunit en vieillissant. L’encre de Chine, faite de noir de fumée, est d’un noir qui ne s’altère pas.
Fusain : Fusain ou charbon de bois.
Gouache : Blanc de céruse broyé avec de la gomme arabique, employé au pinceau et comme rehaut sur du papier teinté.
Graphite : Improprement appelé mine de plomb. Minerai connu bien antérieurement, mais dont l’usage se généralise depuis que Conté, sous la Première République, l’a employé comme base d’un crayon artificiel.
Lavis : Procédé qui consiste à rehausser un dessin, généralement à la plume, par l’emploi d’encre, de bistre, de sépia, ou d’autres couleurs additionnées d’eau et étendues au pinceau.
Mine de plomb : Voir Graphite.
Parchemin : Peau de chèvre ou de mouton préparée pour servir de support à l’écriture ou au dessin.
Pastel : Crayon fait de couleurs broyées avec une pâte à base de terre blanche, dont l’emploi se rencontre en France dans des ouvrages graphiques, depuis Fouquet jusqu’à la période moderne.
Pierre noire ou pierre d’italie : Schiste dont le ton va du noir au noir grisâtre, auquel on a substitué, au cours du XVIIe siècle, une pierre noire artificielle.
Pinceau : Le pinceau fait de poils d’écureuil, de blaireau, de putois, de chien ou de chevreuil, était employé soit seul, soit à côté d’autres procédés, particulièrement auprès de la plume dans le lavis.
Plume : À l’origine, on rencontre la plume de roseau au trait rigide, employée ensuite de loin en loin jusqu’à la période moderne. Dès le VIe siècle et jusqu’au XIXe, on emploie généralement la plume d’oie, très souple. La plume métallique apparaît au XIXe siècle. Certains dessinateurs modernes se servent de stylos.
Pointes de métal : Jusqu’à la Renaissance, on dessinait avec des pointes de métal ; seuls l’argent et le plomb étaient d’un usage courant. Les pointes d’argent et de plomb, styles ou stylets, s’employaient sur parchemin, tablettes ou papier préparé avec de la poudre d’os.
Sanguine : Argile ferrugineuse de ton rouge, plus ou moins foncé, particulièrement employée au XVIIIe siècle.
Sépia : La sépia, extraite de la vessie de la seiche et employée depuis le début du XIXe siècle, est de couleur plus froide que le bistre.
Style ou Stylet : Voir Pointes de métal.
Tablettes : Soit de buis ou de figuier poli et préparées à la pâte d’os, soit revêtues de parchemin, les tablettes, parfois réunies par des lanières de cuir, formaient alors des carnets à dessiner.
Trois crayons : Dessins obtenus avec l’emploi combiné de pierre noire, de sanguine et de craie.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°35 du 4 avril 1997, avec le titre suivant : Le dessin, une passion encore accessible