METZ
Variations, évocations, « actualisations » ou encore… « trahisons » : une centaine d’artistes ont été conviés à livrer leur copie d’une œuvre choisie parmi les collections du Musée du Louvre.

© Adagp Paris 2025
Metz (Moselle). Le Centre Pompidou-Metz est-il en passe de devenir un musée d’art ancien, moderne et contemporain ? Maurizio Cattelan y présente, sous le titre de « Dimanche sans fin » [lire le JdA no 657, 6 juin 2025], une sélection personnelle d’œuvres issues de la collection du « grand frère » parisien, tandis que les collections du Louvre y font l’objet d’une autre exposition.
Enfin pas vraiment : il s’agit de copies. Chiara Parisi, directrice des lieux, et Donatien Grau, conseiller pour les programmes contemporains au Louvre, ont adressé la demande suivante à une centaine d’artistes : « À partir de l’œuvre de votre choix, conservée parmi les collections du musée du Louvre, imaginez sa copie. » L’injonction de la notion d’« imagination » dans ce contexte a ouvert une brèche dans laquelle les artistes se sont engouffrés avec enthousiasme. Car les créateurs empruntent, mais sans en être pour autant réduits à de simples copieurs.
De fait, si les commissaires distinguent entre copies d’imitation et copies d’interprétation, c’est sans conteste cette seconde catégorie qui prédomine. On pourrait même se demander si le terme de « variations » ne conviendrait pas mieux pour qualifier les œuvres réunies, car elles fonctionnent sur un principe similaire à la suite réalisée par Picasso à partir des Femmes d’Alger de Delacroix, par exemple.

© Adagp Paris 2025
Remarquons qu’à Metz on cultive une certaine continuité des idées. Toutes proportions gardées, un lien peut être établi entre le principe de la copie et celui de la répétition – thème de l’exposition précédente (de 2023 à 2025), qui avançait que « pour de nombreux artistes des XXe et XXIe siècles, la création naît de la répétition, par multiplication, accumulation, redoublement ou recommencement ».
Quoi qu’il en soit, on peut regretter que le spectateur soit confronté aux seuls titres des œuvres d’origine – la peinture constituant la principale source d’inspiration des artistes – sans en voir les reproductions présentées en vis-à-vis. Certes, les chefs-d’œuvre tels La Joconde ou Le Radeau de la Méduse appartiennent à l’imaginaire collectif, mais dans la majorité des cas il s’agit de tableaux moins connus du grand public. Ce n’est qu’en consultant le catalogue que l’on prend véritablement la mesure de l’écart, souvent considérable, entre l’œuvre source et sa réinterprétation. Peut-on alors encore parler de copies, lorsqu’il s’agit d’évocations, de suggestions, d’« actualisations », à mille lieues de toute imitation servile ?
L’œuvre Révolution d’Oriol Vilanova illustre avec justesse le fait que même des copies obtenues par des procédés mécaniques – des reproductions –, censés garantir une fidélité parfaite à l’original, peuvent induire en erreur. En réalité, les quatre-vingts cartes postales, ces faux jumeaux, représentant Madame Vigée Le Brun et sa fille Élisabeth Louise Vigée Le Brun, ne sont pas identiques. Une teinte plus ou moins soutenue, une prise de vue plus ou moins rapprochée, la présence ou l’absence d’un cadre : autant de détails qui révèlent qu’une copie, comme une traduction, est toujours une forme de trahison.
Le principal mérite de l’exposition messine réside précisément dans l’inventivité de ces « trahisons ». Ainsi, Agnès Troublé, dite « agnès b. », revisite L’Homme au gant (1520/1523) de Titien : à peine modifié, le personnage semble désormais appartenir à notre époque. Ailleurs, Dhewadi Hadjab, à partir du Marat assassiné (1793) de David, remplace le corps du martyr révolutionnaire par celui d’un ami transgenre, chargé d’un érotisme palpitant.
Plus loin, deux artistes s’attaquent aux natures mortes de Chardin, chacun selon une approche particulière. Laura Owens affirme vouloir « capturer respectueusement » cette peinture, avec toutes les nuances de lumière. Objectif sans nul doute atteint, tant la copie se confond avec l’original. L’approche de Michaël Borremans, elle, est radicalement opposée : les objets disparaissent, ne subsiste qu’un vide saturé d’une lumière sourde qui, selon l’artiste, « fait ressortir les courants sous-jacents troublants des peintures originales » (dans le catalogue).
Tout au long du parcours, de nombreuses figures féminines se rencontrent, qu’il s’agisse de créatrices ou de personnages représentés. Celle qui enflamme sans conteste l’imaginaire est l’héroïne de La Liberté guidant le peuple : Marianne. Elle donne lieu à une relecture féministe par Agnès Thurnauer, qui recouvre la partie centrale d’une reproduction du tableau de Delacroix d’un extrait de l’essai de Monique Wittig, Les Guérillères (1969, Éditions de Minuit).
Plus surprenante encore est la transformation de ce chef-d’œuvre par Bertrand Lavier : il ne conserve que les armes dispersées dans la composition, ainsi un sabre, un pistolet, un fusil à baïonnette, qu’il remplace par des objets réels, chinés chez des antiquaires. Dans cet assemblage, la violence inévitable de la révolution des Trois Glorieuses monte au premier plan.
Impossible de cataloguer toutes les propositions artistiques présentées à Metz. Leur diversité atteste avec éclat qu’une œuvre marquante est toujours inscrite dans son temps – tout en lui échappant.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°661 du 19 septembre 2025, avec le titre suivant : Les artistes réinventent le Louvre à Metz





