Art moderne - Art contemporain

XXe-XXIe siècles

Répétition et (petites) différences

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 22 février 2023 - 853 mots

METZ

Le Centre Pompidou-Metz explore la répétition du motif, du geste ou d’une action comme méthode de création. Un choix dans la collection du Musée national d’art moderne à travers le prisme de la multiplication, du redoublement ou de l’insistance. 

Bernd et Hilla Becher, Têtes de hauts fourneaux [Hochöfen], 1980, 6 des 18 photographies noir et blanc, épreuve gélatino-argentique, 59,2 × 49,5 × 1,5 cm (chaque), Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. © Estate Bernd & Hilla Becher, représenté par Max Becher © Photo Philippe Migeat/Dist. RMN-GP
Bernd Becher (1931-2007) et Hilla Becher (1934-2015), Têtes de hauts fourneaux [Hochöfen], 1980, 6 des 18 photographies noir et blanc, épreuve gélatino-argentique, 59,2 × 49,5 × 1,5 cm (chaque), Paris, Centre Pompidou, MNAM.
© Estate Bernd & Hilla Becher, représenté par Max Becher
© Photo Philippe Migeat / Dist. RMN-GP

Metz (Moselle). Le Centre Pompidou-Metz a de la suite dans les idées. Plus d’une décennie après sa manifestation inaugurale, « Chefs-d’œuvre ? » (2010), l’exposition « La Répétition », organisée par Éric de Chassey, directeur de l’Institut national d’histoire de l’art, propose une autre manière d’aborder le processus artistique. De fait, la notion de « répétition » permet de remettre en cause celle d’œuvre d’art unique, définitive, vue comme l’aboutissement souhaité, voire rêvé, du geste créatif. Ainsi, réitérer les mêmes expériences à une altération près, représenter inlassablement la même forme, le même motif, mais en évitant l’identique serait un moyen de mieux saisir le monde et de le recréer. Ce n’est d’ailleurs pas un simple hasard si, parmi les œuvres d’une soixantaine d’artistes choisies dans la collection du Musée national d’art moderne, nombreuses sont celles qui s’inspirent d’une activité quotidienne banale, comme saisir un objet (Main attrapant du plomb, Richard Serra, 1968, action filmée), ou se balancer d’avant en arrière dans un coin de son atelier (Rebondissant dans le coin no 1 et 2 [À l’envers], Bruce Nauman, 1968-1969, action filmée). Face à ces rituels obsessionnels, difficile de ne pas songer à Freud qui, en parlant de cérémonial névrotique, décrit un sujet qui, dans son impossibilité d’atteindre un but idéal, se voit contraint à « de petites pratiques, petites adjonctions, petites restrictions, qui sont accomplies, lors de certaines actions de la vie quotidienne, d’une manière toujours semblable ou modifiée selon une loi » (Actions compulsionnelles et exercices religieux, 1907).

Éric de Chassey ne prétend pas que la répétition soit l’invention du XXe siècle. En réalité, le motif répétitif, déjà omniprésent dans les arts décoratifs, n’est pas sans rapport avec le « haricot » de Claude Viallat, le chef de file de Supports/Surfaces. Cependant, docile et impersonnel dans l’univers décoratif, le motif prend des accents plus subversifs chez les artistes contemporains. Pour eux, le motif n’est ni un simple outil au service du sens ni un détail secondaire, mais ce qui règle toute l’organisation plastique de l’œuvre. Dans cette exposition, la seule référence au passé est une œuvre religieuse, une stèle datant du Ier-IIIe siècle, qui figure trois déesses mères semblables.

Une approche intuitive
C’est une peinture de Marie Laurencin intitulée La Répétition (1936) qui a confirmé le commissaire dans son intuition, celle de la répétition comme méthode de création. Pour lui, la composition de cette toile, les positions de cinq femmes peu individualisées, est une citation directe des Demoiselles d’Avignon, une reprise et une critique – timide – de cette icône emblématique de la rupture radicale de la représentation classique. On reste un peu dubitatif face à cette interprétation.

Marie Laurencin (1883-1956), La Répétition, 1936, huile sur toile, 120 x 120 cm, Paris, Centre Pompidou. © Foujita Foundation © MNAM-CCI dist. RMN-GP © ADAGP Paris 2023
Marie Laurencin (1883-1956), La Répétition, 1936, huile sur toile, 120 x 120 cm, Paris, Centre Pompidou.
© Foujita Foundation
© MNAM-CCI dist. RMN-GP
© ADAGP Paris 2023

Quoi qu’il en soit, la citation d’une autre œuvre pourrait faire partie de toute la panoplie de termes qui accompagnent les différentes sections à Metz. « Essayer », « Insister », « Multiplier », « Compter », « Persévérer », « Accumuler », « Recommencer », « Redoubler »… sont quelques-uns des modes d’action artistiques proposés ici. Cette variété sémantique indique la richesse de ce parcours, mais en même temps elle impose au spectateur une articulation un peu artificielle. Curieusement, de Chassey admet le peu d’importance qu’il accorde à ces différents termes, et affirme préférer une approche intuitive à une présentation didactique. On suggère aux visiteurs de faire de même et d’effectuer leurs propres rapprochements. Parmi les œuvres exposées, certaines sont désormais iconiques, comme l’Hommage au carré de Josef Albers. Cette suite comporte quelque deux mille œuvres (tableaux, dessins, gravures…) de même composition, simple, où diffèrent principalement les couleurs. Un des carrés présentés ici est particulièrement intéressant : inachevé, il met à nu la pratique picturale d’Albers. Aux côtés des variations chromatiques obtenues par ce dernier, les six panneaux monochromes bleus, assemblés par l’un des membres du groupe BMPT, Olivier Mosset, font pâle figure. 

Ailleurs, Roman Opalka inscrit – à partir de 1965 – à la peinture blanche sur fond noir le chiffre 1 en haut à gauche de la toile, puis le 2 et ainsi de suite jusqu’à la saturation de la surface. Chaque nouvelle œuvre reprend cette « comptabilité » vers l’infini, déroulement qui ne sera interrompu que par la mort de leur auteur. Ces travaux semblent une façon de refuser la poursuite désespérée, sisyphéenne, qui consiste à vouloir capter pour toujours un instant de la vie. Ailleurs encore, pour Peinture (écriture rose), Simon Hantaï recopie chaque jour pendant une année entière des textes liturgiques en y ajoutant des formules philosophiques. Une répétition ? Sans doute.

Mais quand l’ensemble fait oublier l’infinité des composants qui entrent en jeu, le tout forme une œuvre magnifique, d’un raffinement exceptionnel. Autrement dit, un chef-d’œuvre. La liste est impressionnante : Warhol ou Marlene Dumas, Picasso ou Djamel Tatah, Annette Messager ou Barnett Newman. Le visiteur, à l’instar du commissaire, fera un choix subjectif parmi ces nombreuses pièces. Sera-t-il bouleversé par Arena Quad I + II de Samuel Beckett (1981), la vidéo d’une pièce (pour la télévision) où quatre personnages se croisent sans cesse en cherchant désespérément leur chemin ? Face à ces errants anonymes qui rejouent le drame de la vie, les contorsions de Nauman paraissent bien insignifiantes.

La Répétition

jusqu’au 27 janvier 2025, Centre Pompidou-Metz, 1, parvis 
des Droits-de-l’Homme, 57000 Metz.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°605 du 17 février 2023, avec le titre suivant : Répétition et (petites) différences

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