À Metz, l’artiste compose un parcours spectaculaire à partir des collections du Musée national d’art moderne et de ses propres œuvres, tout en révélant paradoxalement une facette plus intime de son travail.

© Maurizio Cattelan’s Archive
Metz (Moselle). Maurizio Cattelan, chantre de l’irrévérence ou loup du marché, convié à une célébration en grande pompe, introduit dans les réserves du musée. C’est à tout le moins intrigant. On ne sait au préalable ce que signifie cette plage de temps libre à perpétuité annoncée par l’intitulé, « Dimanche sans fin ».
L’ambivalence, la polysémie font partie de la proposition, qui n’impose rien a priori. Et dont même les têtes de chapitres n’obéissent que de façon assez fantaisiste à l’ordre abécédaire qu’elles sont censées respecter. Le septième jour de la semaine, c’est aussi Sunday (2024), une immense sculpture murale qui figure dans le parcours et fut présentée par Gagosian à New York lors du premier solo de Maurizio Cattelan dans une galerie commerciale depuis plus de vingt ans. L’œuvre prend la forme d’un panneau plaqué or, criblé d’impacts de balles. Le visiteur croise forcément son reflet dans le souvenir miroitant de cette fusillade, qui se prête cependant assez mal aux selfies, c’est le piège.
L’exercice a donc consisté pour l’artiste à concevoir un parcours à partir des collections d’un musée ; il l’a déjà fait il y a quelques mois au Moderna Museet, à Stockholm (Suède). Maurizio Cattelan confie que le dispositif, articulé autour de six salles, était cependant bien moins complexe. À Metz, l’exposition comporte 26 sections, réunissant près d’une quarantaine de ses propres pièces et plus de 300 du Musée national d’art moderne. Exposition-fleuve, au cours de laquelle on ne s’ennuie pourtant pas une seconde. Le déroulé comporte son lot de chefs-d’œuvre (par exemple le somptueux Bal Bullier (1913) de Sonia Delaunay), de fétiches (comme la table d’échecs de Marcel Duchamp montrée pour la première fois, ou le « mur de l’atelier » [1922-1966] d’André Breton à côté du bas-relief Gradiva [Musées du Vatican]), et de trouvailles exhumées – tel ce Portrait dans un miroir (1912) d’Oswald Birley, incroyablement contemporain.

© Estate Franz West
© Centre Pompidou-Metz / Marc Domage
Dès le début du parcours, le visiteur est frappé par sa théâtralité, soulignée par le guichet de cinéma de George Segal (Movie House, 1966-1967), mais aussi par la présence spectaculaire de Felix [voir ill.], un squelette de chat aux dimensions de dinosaure. L’accrochage joue sur les rapports d’échelle, alternant d’un espace à l’autre des formats variés et invitant à regarder dans plusieurs directions : en hauteur, où est placé le tapis circulaire d’Il Bel Paese (1994), et au niveau des plinthes pour les ascenseurs miniatures Untitled (2001), des œuvres de Cattelan. Tandis que la scénographie virtuose (signée Berger & Berger) ouvre des perspectives d’une salle à l’autre : le profil en toile de parasol du Self-Portrait (Sunbrella), 2014, d’Alex Israel s’encadre par exemple dans la porte qui conduit à la deuxième salle. Ce principe kaléidoscopique rend le parcours dynamique et stimulant. Sans que ce choix fasse l’objet d’un manifeste, on note que les peintures de trois artistes femmes, Miriam Cahn, Helen Frankenthaler et Joan Mitchell (Sylvie’s Sunday, 1976) sont placées en début de parcours. Les femmes sont également convoquées dans les textes d’une partie des cartels de l’exposition, écrits par les détenues de la prison de la Giudecca à Venise. Le lieu avait accueilli en 2024 l’exposition du pavillon du Vatican (60e Biennale) dont le commissariat était assuré par Chiara Parisi et Bruno Racine. On avait déjà pu y voir Father (2021), grande peinture murale en noir et blanc de Cattelan représentant la plante des pieds d’un homme âgé, image renvoyant aussi bien à une vision de morgue qu’à une sieste dominicale.

Car « Un dimanche sans fin » est aussi, et avant tout, une exposition de Maurizio Cattelan. Où l’on s’aperçoit qu’en dehors des œuvres iconiques qui jalonnent sa carrière (comme la sculpture L.O.V.E. [2010] à l’index dressé placée dans le forum, les chevaux encastrés de Kaputt [2013,], le conducteur de tricycle à son effigie de Charlie [2003]), on ne connaît pas si bien son travail conceptuel, en particulier certaines sculptures telle Envy (2025), clou fiché dans un drapé marmoréen. Et puis, l’artiste se livre ici comme il ne l’avait sans doute jamais fait. À travers sa sélection, qui témoigne de sa connaissance fine de l’histoire de l’art et de sa curiosité. Mais aussi dans les textes qu’il a écrits pour l’occasion, dont la tonalité très personnelle se révèle souvent sombre. Dans la salle consacrée aux « portraits de la mère de l’artiste », Cattelan a placé celui de la sienne, à son image, assise dans un frigo entrouvert, le regard empreint d’un léger reproche. L’incongruité glaçante de cette apparition maternelle laisse deviner que son enfance ne fut pas toujours simple. Lui évoque « une atmosphère irrespirable ».
On retrouve ses textes dans le catalogue mis en page par la graphiste Irma Boom. L’ouvrage affiche fièrement en couverture la banane scotchée de Comedian. Dans l’exposition, l’œuvre polémique occupe une salle entière, comme une relique (du scandale) placée dans une alcôve. Mise en vente pour 100 000 dollars sur le stand de la galerie Perrotin à Art Basel Miami Beach en 2019, la banane barrée d’un adhésif argenté a déchaîné les passions spéculatives, jusqu’à être revendue pour plus de 6 millions de dollars chez Sotheby’s. Une fois rendue publique, l’œuvre n’appartient plus à l’artiste, qui ne garde pour lui que son opiniâtre sentiment d’imposture. Mais fait ici la démonstration magistrale de son formidable talent.

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Cattelan en maître de cérémonie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°657 du 6 juin 2025, avec le titre suivant : Cattelan en maître de cérémonie