En collaboration avec le Musée du Louvre, le Centre Pompidou-Metz a proposé à des artistes contemporains utilisant différents médiums de réaliser des copies d’œuvres exposées dans le musée parisien. Que le résultat soit original, détourné ou académique, l’exposition « Copistes ! » donne à voir mille et une façons de copier.
« Les bons artistes copient, les grands artistes volent. » Avec son sens habituel de l’aphorisme, Pablo Picasso (1881-1973) a forgé une image de rupture qui a longtemps collé à la peau de l’art moderne. Avec cette sentence lapidaire, il entendait faire entrer la peinture du XXe siècle dans une nouvelle ère qui romprait totalement avec une tradition millénaire. Le mythe de la table rase autoproclamé par les avant-gardes cadrait mal en effet avec cette pratique classique qui était au cœur de l’enseignement académique. Une pratique si importante qu’elle était véritablement une des raisons de la création des musées à l’époque révolutionnaire puisque la réunion de chefs-d’œuvre sous un même toit répondait en premier lieu à la nécessité de rassembler des modèles édifiants et inspirants pour un apprentissage de qualité.
La première mission du Louvre est pédagogique comme en atteste son fonctionnement initial lors de son inauguration en 1793. Les artistes y sont prioritaires puisque le lieu leur est dans un premier temps réservé cinq jours par semaine ; le public ne pouvant jouir des œuvres qu’un seul jour. Et les peintres, sculpteurs et dessinateurs, qu’ils soient élèves des Beaux-Arts ou non, ne se font pas prier pour investir ce terrain de jeu d’une richesse sans équivalent dans le monde. Au fil des ans, les plus grands font leurs armes dans l’ancien palais des rois de France. Henri Matisse (1869-1854) y copie fidèlement Annibal Carrache (1560-1609) et Raphaël (1483-1520). Tandis que Paul Cézanne (1839-1906) qui désigne le Louvre comme « le livre où nous apprenons tous à lire » s’y inspire du sens de la ligne de son idole Nicolas Poussin (1594-1665) et de la démesure baroque de Pierre Paul Rubens (1577-1640). Sans parler d’un certain Pablo Picasso qui vient se nourrir des créations de ses mentors, à commencer par Eugène Delacroix (1798-1863), dont Les Femmes d’Alger lui inspire une série de tableaux qui bat, des décennies plus tard, des records en salle de ventes. Des rencontres décisives se jouent aussi entre copistes, à l’image de Berthe Morisot (1841-1895) venue reproduire des tableaux du XVIIIe siècle pour se perfectionner et qui fait connaissance avec un copiste de génie Édouard Manet (1832-1883).
Les créateurs actuels se livrent toujours assidûment à cette pratique. Car, n’en déplaise à Picasso, la copie n’est pas morte. Elle est même furieusement d’actualité. Qui n’a pas déjà croisé un des deux cents copistes officiels du Musée universel ? Ils sont aisément reconnaissables : vissés sur un tabouret, les yeux rivés sur leur illustre modèle, qu’ils reproduisent à la perfection, mais selon des règles drastiques. Ils sont imperturbables face aux curieux qui scrutent leur travail dans leur dos et les prennent en photo. Sur un banc ou dans un coin, on repère aussi de nombreux étudiants consignant avec précision un détail tiré d’une composition qui alimentera, un jour, un futur projet. Partant de cette histoire méconnue, puissamment réactivée par la culture postmoderne, le Louvre et le Centre Pompidou-Metz se sont lancé un défi inédit. Ils ont invité cent artistes de 20 à 90 ans, à imaginer la copie de l’œuvre de leur choix. Tour d’horizon de ces créations : des plus fidèles aux réinterprétations les plus décapantes.
On reconnaît instantanément le modèle tout s’amusant de la liberté prise par le peintre. Le sol en damier, la porte, le drap, le mobilier et les délicats chaussons, tous les éléments clés sont bien là mais efficacement remixés. Transposer les divines Pantoufles de Samuel van Hoogstraten (1650), pépite du Siècle d’Or, dans une veine pop, il fallait oser. Et pourtant loin d’être un pastiche, cette relecture est un clin d’œil subtil au culte des objets qui animait alors les artistes hollandais.
Comment évoquer l’opulence de la Renaissance et des costumes de cour avec des effets contemporains ? Nina Childress (née en 1961) transpose les codes des prestigieux portraits de François Clouet (1520-1572) – richesse des tissus, bijoux ostentatoires – dans une esthétique tape à l’œil. La profusion de perles collées sur la toile ainsi que l’utilisation de pigments à la teinte changeante et phosphorescente confèrent à l’ensemble un caractère bling-bling. Une tonalité qui évoque malicieusement le culte obsessionnel du paraître d’hier et d’aujourd’hui.
Parmi la centaine de propositions qu’ont reçue les commissaires de l’exposition, l’œuvre de Jean-Philippe Delhomme (né en 1959) est sans conteste l’une des créations qui répond le plus traditionnellement à la notion de copie. L’artiste a été fasciné par la présence magnétique des souliers de la comtesse del Carpio et par le caractère éminemment moderne du portrait de Francisco de Goya (1746-1828). Dans sa variante, il a encore accentué ces éléments, notamment cette sidérante sensation d’immédiateté et de naturel en peignant le personnage sur un fond inachevé.
Icône du Louvre, emblème du XIXe siècle et image très connue car reproduite dans tous les manuels d’histoire, La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix (1830) a été maintes fois copiée, citée et détournée. Agnès Thurnauer (née en 1962) a copié la fameuse composition centrale sur un extrait des Guérillères de Monique Wittig. Ce roman paru en 1969 est considéré comme l’un des actes de naissance du féminisme radical. Pas sûr que Delacroix se soit reconnu dans cette prose queer militante, mais c’est aussi la liberté d’interprétation qui fait le sel de la copie.
Il est impossible d’évoquer l’art de la copie contemporaine sans convoquer Jeff Koons (né en 1955). L’artiste a en effet fait de la citation et de l’appropriation un des piliers de son travail, en flirtant parfois avec les limites au point d’être condamné pour plagiat ! L’Américain, passionné par la question des archétypes, a porté son dévolu sur une icône de la sculpture antique. Il la désacralise en la mariant avec des objets triviaux, des boules d’observation colorées qui reflètent la lumière et l’environnement qui les entourent.
La Victoire de Samothrace (190 av. J.-C.) est certainement la sculpture la plus connue du Louvre. Cette immense popularité lui a valu de nombreux hommages et clins d’œil de la pop culture. Humberto Campana (né en 1953) en livre une relecture sombre dans tous les sens du terme. La blancheur immaculée du marbre fait place au noir du fusain. Le designer brésilien a choisi ce matériau, obtenu en brûlant du bois, afin d’attirer l’attention sur la crise environnementale.
Peut-on conserver l’émotion provoquée par une œuvre en la copiant et en transposant sa figure principale ? La prestation de Djamel Tatah (né en 1959) prouve clairement que copier n’est pas forcément trahir. Le peintre est en effet parvenu à sauvegarder l’intensité dramatique de la Jeune orpheline au cimetière d’Eugène Delacroix (1823-1824) en la faisant exister dans un tout autre univers. Étrangement le modèle est parfaitement reconnaissable alors même que le tableau ressemble comme deux gouttes d’eau aux œuvres personnelles de Tatah.
Dans le cas de Glenn Brown (né en 1966), il faut parler de copies, au pluriel. En effet, le peintre condense plusieurs motifs en une seule image vue par un prisme déformant. On identifie ainsi au premier coup d’œil la luisante Raie de Jean Siméon Chardin (1728), bien que peinte dans une manière surréaliste à la Salvador Dalí. En revanche, il faut se creuser les méninges pour reconnaître le halo irradiant autour du poisson qui est une citation littérale de la gravure La Pietà de Hendrick Goltzius (1596). Un mélange des genres qui donne à ce télescopage une surprenante sacralité.
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La virtuosité du copiste
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°787 du 1 juillet 2025, avec le titre suivant : La virtuosité du copiste





