L’exposition met en lumière la vie d’Agnès Varda, son attachement au 14e arrondissement de Paris, et sa réflexion sur sa place en tant que femme dans le cinéma.
Paris. Lorsqu’il a été a suggéré à Anne de Mondenard un rendez-vous avec Rosalie Varda-Demy en lui disant qu’elle « devait voir ce qu’elle conservait d’Agnès Varda sur Paris », la conservatrice en chef au Musée Carnavalet, a proposé à Valérie Guillaume, directrice du musée, de l’accompagner. Ce que leur montra ce jour-là la fille de l’artiste convainquit Valérie Guillaume de programmer une exposition. Pendant plus de deux ans, Anne de Mondenard a ainsi mené un travail de recherche sur cet axe inexploré couvrant plus de soixante-dix ans de la vie de Varda, de son inscription à l’école du Louvre en 1944 à sa disparition en 2019. L’enquête minutieuse menée dans les archives photos et filmiques par l’historienne de la photographie aboutit aujourd’hui à une exposition chronologique, instructive et rigoureuse, qui donne la mesure de l’importance de Paris dans l’œuvre et ses différentes incarnations, en particulier celle du 86 rue Daguerre, dans le 14e arrondissement, où Agnès Varda s’installa dès 1951.
Certes, depuis 2023, les expositions Varda s’enchaînent : à partir du 28 juin, le Musée Soulages à Rodez lui consacre une exposition. Si chacune d’entre elles a dévoilé, narré des facettes de sa personnalité et de son œuvre foisonnante, la monographie que signe Anne de Mondenard retient toutefois par son étude approfondie riche en détails, inédits ou aspects méconnus, revenant régulièrement sur les liens étroits entre photographie et films.
Cette grande précision du propos s’énonce dès la première salle portée par le récit en images et les cartels techniques ou explicatifs, consacrée aux premières années parisiennes de Varda avant l’installation rue Daguerre. Sa colocation cité Malesherbes, près de Pigalle, avec trois autres jeunes femmes dont la céramiste et sculptrice Valentine Schlegel, le choix du métier de photographe après l’école du Louvre ainsi que l’installation d’un laboratoire pour tirer ses photographies dans l’appartement des parents au 19 boulevard Raspail, dessinent de 1944 à 1950 les premiers traits d’une personnalité affirmée.
Séance d’autoportraits avec Valentine ou seule sans encore la coupe au bol à laquelle elle sera identifiée plus tard, portraits de ses autres colocataires ou des enfants Vilar dans le parc Montsouris en juin 1948, photographies des quais de Seine et premières expositions collectives avec des portraits teintés d’un surréalisme sombre… ce temps s’incarne à travers des tirages d’époque, et des explications sur des photographies ou documents.
L’achat par ses parents de deux boutiques en piteux états, séparées par une cour ruelle, au 86 rue Daguerre où Agnès Varda et Valentine Schlegel aménagent leur appartement et ateliers respectifs, est raconté sur le même principe avec une reconstitution du studio de Varda et la diffusion de plans raccords des premiers films dont La Pointe courte (1955), voyant Silvia Monfort et Philippe Noiret marchand dans la cour. Une cour-atelier devenue synonyme de cadre de vie, de créations, de rencontres et de métamorphoses que dévoilent extraits de films ou de documentaires et portraits de ses enfants, de Jacques Demy et de ses proches, artistes ou non.
« Je n’avais pas mesuré à quel point la cour avait eu un rôle et une place aussi importants dans la création d’Agnès Varda », souligne Anne de Mondenard qui propose, en fin de parcours, un montage captivant de tous les entretiens faits de l’artiste dans cette cour de 1959 à 2019 – à prendre le temps de regarder pour l’entendre parler de son art et de sa place en tant que femme dans le cinéma. Nombre de ses films évoquent la question de l’émancipation des femmes, dans l’exposition dont « L’une chante, l’autre pas » (1976) réalisé à Paris, mais aussi le spot publicitaire d’information sur la contraception, méconnu, que lui commande le ministère des Droits de la femme en 1981, qu’elle tourne pour une partie dans son quartier, et que diffuse le journal d’information de France 2, animé alors par Christine Ockrent !
Agnès Varda a beaucoup photographié et filmé à proximité de chez elle et dans les lieux qu’elle affectionne à Paris, privilégiant l’ordinaire, la marge, la contestation. La juxtaposition d’extraits de longs métrages ou documentaires tournés dans la ville, voire restés inachevés, avec une carte de la capitale indiquant à chaque fois pour chacun d’eux par un point lumineux les lieux de tournage, est particulièrement éloquente comme les focus sur L’Opéra-Mouffe (1958), de Cléo de 5 à 7 (1962) ou de Daguerréotypes (1975).
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°656 du 23 mai 2025, avec le titre suivant : Le Paris intime et engagé d’Agnès Varda





