Photographie

Documentaire

Le ballet de photos d’Agnès Varda à Cuba

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2016 - 829 mots

En dévoilant les photos inédites sélectionnées par la réalisatrice pour son film sur la révolution cubaine en 1963, le Centre Pompidou retrace l’enthousiasme d’un moment historique.

PARIS - Quand Agnès Varda voyage à Cuba entre décembre 1962 et janvier 1963, invitée par l’Institut cubain de l’art et de l’industrie cinématographique, elle emporte un Leica, un pied d’appareil photo et des pellicules noir et blanc. Chris Marker, qui a réalisé le documentaire de 52 minutes Cuba en janvier 1961 pour le premier anniversaire de la révolution cubaine, l’a encouragée à y aller. Agnès Varda s’est même insurgée avec Jacques Demy contre l’interdiction de Cuba en France par le ministre de l’Information Louis Terrenoire. Dans une lettre ouverte publiée en février 1962 dans les Cahiers du Cinéma, ils ont dit tout le bien qu’ils pensaient de ce film « sur une révolution vivante ».

Un an plus tard à partir d’une sélection de 1 500 images noir et blanc sur les 2 500 prises durant son séjour sur l’île, Agnès Varda réalise avec Salut les Cubains son premier documentaire. Un moyen-métrage de 30 minutes qu’elle qualifie  de «  film hommage », qui s’avère alerte, joyeux et malicieux dans ses photographies, et dont le texte et le montage sont calés sur les rythmes de musiques cubaines. L’achat par le Musée national d’art moderne (Mnam) de 145 photographies relatives à ce film et leur accrochage par Clément Chéroux et Karolina Ziebinska-Lewandowska permettent de le redécouvrir. Si le film est daté, y compris pour Agnès Varda, – « il faut le voir en pensant à l’année 1963 » dit-elle – il trouve sa valeur dans les spécificités et à la grande qualité des images qui le constituent. Agnès Varda a été photographe avant d’être cinéaste. Diplômée de l’École du Louvre, elle a suivi les cours du soir de l’école de Vaugirard, a réalisé des reportages et des portraits avant de devenir au début des années 1950 la photographe attitrée du Théâtre national populaire (TNP) de Jean Vilar et du Festival d’Avignon.

Images en mouvement
« Jusqu’à cette acquisition, il y avait dans la collection du Mnam, une quinzaine de photographies d’Agnès Varda couvrant différentes périodes : la rue Mouffetard, le TNP, la Chine et Cuba », explique Clément Chéroux. « Nous aurions pu décider de sélectionner dans l’ensemble de la production ce que nous considérions comme les meilleures. Nous avons préféré nous focaliser sur un ensemble cohérent afin de l’explorer plus attentivement. » Le résultat est instructif et enthousiasmant avec un accrochage conçu en contrepoint de la projection de Salut Les Cubains. Lors de l’inauguration de l’exposition, la cinéaste n’a d’ailleurs pas caché son enthousiasme : « Ils ont réussi à faire danser les photographies sur les murs. »

L’accrochage des vintages, souvent en séquences, est une des grandes réussites de cette exposition où l’on mesure le rapport entre le fixe et l’animé, « entre des images arrêtées dans un film et des images en mouvement alors qu’elles sont totalement fixes », précise Clément Chéroux. Et Agnès Varda de souligner : « Je suis toujours fascinée par cette frontière que j’essaie de traverser dans tous les sens entre immobilité et mouvement, entre photographie et cinéma, entre noir et blanc et couleur. » Sa construction n’est pas sans ramener à La Jetée de Chris Marker réalisée en 1962 à partir de photographies. Dans l’entretien réalisé par Karolina Ziebinska-Lewandowska, à lire dans le catalogue de l’exposition, Agnès Varda dément toutefois avoir été inspirée par ce film. « La Jetée est une fiction, les photographies sont filmées. Et un seul plan, très court, est en mouvement (…). Dès le début, j’ai fait des photos en série en sachant que ces photos presque identiques allaient recomposer un plan qui aurait été tourné en continu, un peu cahoté ». L’influence, il faut aller la rechercher ailleurs, dans « des films animés d’Europe Centrale, de l’école de Lodz ainsi que des films expérimentaux de Walerian Borowczyk et Jan Lenica », mentionne-t-elle en concluant : « Je n’ai pas eu l’intention de faire un film expérimental, je voulais un film didactique, musical et plaisant à voir. » Il le demeure.
Agnès Varda est séduite par ce qu’elle voit, par l’enthousiasme, le souffle que porte la révolution de Cuba. « [Les Cubains] manquaient de nourriture. Il n’y avait pas de camions pour la transporter, mais on faisait des films, on faisait des expositions et on dansait beaucoup », se souvient-elle.
Beaucoup de danses et de sourires émaillent ce documentaire, dont le visionnage procure une certaine joie avec ses images vivantes et fraîches, d’une vie pleine de promesses ; y compris devant le portrait de Fidel Castro flanqué de deux ailes en béton : métaphore hier d’une révolution à l’envolée plombée par les Américains, devenue depuis une vision anticipée de ce qu’il adviendrait de cette révolution et de ses années de plomb.

Agnès Varda

Commissaires : Clément Chéroux, Karolina Ziebinska-Lewandowska.
Œuvre : 163 photographies, dont 141 appartiennent à la collection du Centre Pompidou.

Varda/Cuba

Jusqu’au 1er février 2016, Centre Pompidou, galerie de Photographie (niveau -1), place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h, entrée gratuite. Catalogue Varda/ Cuba, Éditions du Centre Pompidou et Éditions Xavier Barral, 171 pages, 164 photographies et documents, 39 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°448 du 8 janvier 2016, avec le titre suivant : Le ballet de photos d’Agnès Varda à Cuba

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