Le Musée de Céret fragmente son histoire

Céret (Pyrénées-Orientales). À la manière du cubisme qui voulait représenter toutes les facettes d’une réalité observée sur un même plan, le Musée d’art moderne de Céret a voulu marquer son 75e anniversaire par une exposition offrant une autre dimension de son rapport singulier aux artistes : les donations faites par les artistes eux-mêmes à la fondation du musée et au-delà. Celle-ci complète l’exposition permanente qui comprend de nombreuses œuvres d’artistes venus séjourner à Céret.

La référence au cubisme n’est pas qu’une figure de style. C’est à Céret entre 1911 et 1913 que Picasso et Braque poursuivent leurs travaux au point que la ville sera plus tard baptisée la « Mecque du cubisme » (abusivement puisqu’André Salmon parlait en 1912 de « villes saintes de l’art »). À leur suite, de nombreux artistes sont venus dans ce village des Pyrénées, entre mer et montagne, proche de l’Espagne : Soutine, Masson, Dalí… Depuis sa réouverture en 2022, au terme de travaux qui ont permis d’augmenter les surfaces d’exposition, le parcours permanent raconte cette histoire avec plus d’ampleur.

Plusieurs artistes dont deux en particulier, et quels artistes !, sont communs aux deux parcours : Matisse et Picasso. Répondant à l’appel de Pierre Brune, artiste lui-même et premier directeur du musée, Matisse donne 13 dessins et, en 1954, une Grande tête de femme (1945). Le séjour de Matisse à Céret n’est pas attesté mais, ayant séjourné plusieurs fois à Collioure, il serait étonnant qu’il n’ait pas franchi les quelques kilomètres séparant les deux villages. Picasso, lui, a donné 57 pièces entre 1950 et 1956, dont le célèbre ensemble de « Coupelles tauromachiques ».

Ces deux noms disent bien la qualité des œuvres cédées. Les donateurs ne se sont pas séparés d’esquisses ou d’œuvres médiocres : l’accrochage conçu par Jean-Roch Dumont Saint-Priest (directeur et conservateur) et Aude Marchand (responsable des collections) a belle allure. Il reflète l’attachement des artistes à ses fondateurs dans les années 1950, et plus tard aux conservateurs qui se sont succédé et ont organisé des expositions d’artistes contemporains de bonne facture. C’est le cas d’Auguste Herbin, qui a séjourné à Céret à plusieurs reprises et donné des œuvres, dont l’une, Abstraction (1939), ouvre l’exposition. Ou de Christian Bonnefoi (né en 1948), qui après avoir bénéficié d’une exposition en 2012 a donné une œuvre constituée de papiers de soie punaisés sur le mur (Ubu Roi).

L’ensemble ne prétend pas offrir un résumé de la création en France entre 1950 et aujourd’hui. « C’est une fenêtre ouverte sur la diversité », explique le directeur. Pour autant, l’abstraction lyrique est représentée par Christine Boumeester (1904-1971) ; la remise en cause de la peinture par Claude Viallat (né en 1936) et Supports/Surfaces ; l’art conceptuel par Hervé Fischer (1941) et sa Pharmacie Fisher & Cie ; le retour à la peinture par Vincent Bioulès (né en 1938) – lequel est un peu chez lui au musée. Outre l’amitié qui lie leurs auteurs au musée, un point commun caractérise les œuvres : la couleur. Ce n’est pas étonnant, la lumière, motrice du fauvisme matissien à Collioure, baigne cette région de petite montagne tout au long de l’année et rehausse les pigments de la palette.

Aujourd’hui, ce sont surtout les touristes du monde entier qui arpentent les ruelles de Céret et les allées du musée. Ce dernier tient cependant à cultiver son identité tournée vers l’art de son temps en actualisant régulièrement, comme il l’a fait en mars dernier, son parcours art contemporain.