Art contemporain - Design

XXE SIÈCLE

La sculpture lumineuse d’Isamu Noguchi

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 19 avril 2023 - 739 mots

Le LaM offre sa première rétrospective en France au créateur nippo-américain en mettant l’accent sur sa sculpture.

Villeneuve-d’Ascq (Nord). Ce n’est pas un simple hasard si la quasi-totalité des prêts pour la rétrospective d’Isamu Noguchi (1904-1988) est en provenance des États-Unis, où ce dernier a un musée à son nom. La très faible représentation de ses travaux dans les musées européens reflète une situation paradoxale. Si la sculpture de Noguchi est rarement exposée, sa lampe Akari, inspirée par la tradition japonaise, réalisée à l’aide de papier washi sur une structure en bambou, reste un des objets de design parmi les plus répandus – d’ailleurs copié par Ikea. En toute logique, l’affiche spectaculaire du LaM, représentant l’artiste tenant une étude pour Luminous Plastic Sculpture (1943) qui rappelle le célèbre luminaire, exploite cette renommée. Toutefois, en intitulant l’exposition « Sculpter le monde », les commissaires, Sébastien Delot, directeur du LaM, et Grégoire Prangé, conservateur, mettent l’accent sur l’œuvre sculpté de Noguchi. Pour autant, les autres pans de cette production protéiforme – mobilier, décor pour le théâtre et pour la danse, céramique, travail sur le paysage… – ne sont pas oubliés.

Influence de Brancusi

À l’image de son auteur, cette œuvre multidisciplinaire se situe entre Orient et Occident. Présenté dans les dictionnaires comme sculpteur américain d’origine japonaise, Noguchi passe son enfance au Japon mais commence son éducation aux États-Unis. Après une formation artistique qu’il achève à New York, où il pratique essentiellement le portrait, l’artiste travaille pendant quelques mois dans l’atelier parisien de Brancusi. Noguchi se livre également en 1930-1931 à un apprentissage de la peinture et de la calligraphie chinoises traditionnelles. Puis, de retour à New York, il ouvre un atelier (1929) et présente ses premières œuvres abstraites. On pourrait ainsi suivre les différentes stations de cet électron libre, tels la Chine ou le Japon. Nomadisme géographique mais également nomadisme stylistique en quête d’un langage personnel. Les œuvres, parfaitement maîtrisées plastiquement, dépouillées et épurées, sont toujours d’une extrême élégance. En marbre, en bois, en bronze, en zinc ou en acier poli, ces sculptures s’inscrivent dans une veine biomorphique, cette forme d’abstraction à l’écoute de l’univers organique dont elle garde des traces suggestives. Ainsi Globular (1928), proche – trop ? – de Brancusi, est un volume stylisé, un bloc ovoïdal aux lignes courbes et souples. Des années plus tard, en 1958, Pregnant Bird [voir ill.], cette union entre le marbre et la nature, a tout d’un hommage à L’Oiseau de l’artiste roumain. Cependant, dans d’autres pièces qui combinent différents matériaux et objets, Noguchi trouve des solutions étonnantes, à l’exemple de Monument to Heroes (1943-1978), qui réunit habilement plastique, peinture, os et ficelle. Là encore, à la différence de la brutalité qui caractérise souvent les assemblages, les composants sont articulés sans heurts. On peut également déceler certains apports surréalistes dans son œuvre – il participe à l’Exposition internationale du surréalisme à Paris (1938) – et l’influence d’Arshile Gorky avec lequel il se lie amitié. Toutefois, en vue de Red Lunar Fist (1944), on songe plutôt à Yves Tanguy et à ses volumes amorphes, d’une labilité extrême. Cette fluidité des formes est sans doute la qualité principale de Noguchi.

Collaboration avec la chorégraphe Marta Graham

Grâce à une scénographie inventive signée Jean-Julien Simonot, le parcours chrono-thématique fait habilement découvrir au spectateur l’ensemble des activités de Noguchi. La rencontre avec Martha Graham donne lieu à sa participation à de nombreux spectacles, illustrée ici par d’imposantes photographies, pour les décors et les costumes. Cette coopération étonnante de la danseuse expressionniste avec Noguchi sera, selon Graham elle-même, un élément déterminant de son travail. De son côté, Noguchi semble retrouver avec la chorégraphe toute l’importance du corps dans sa pratique sculpturale. Ailleurs, les lampes accrochées forment un paysage lumineux ; superposées, elles se transforment en une sculpture d’une extrême légèreté, presque immatérielle. Ailleurs encore, son rapport à l’art japonais s’exprime par le soin qu’il accorde au lieu et à l’emplacement de ses sculptures. On connaît ses jardins, tels celui de l’Unesco à Paris ou celui du Musée d’Israël à Jérusalem. Au LaM, les quelques rochers taillés par l’artiste, à la fois puissants et sophistiqués, forment un mini-jardin zen (Lessons of Musakokushi (with flip-flop), 1962). Quelques fins travaux en céramique complètent la présentation.

Face à cette œuvre d’une esthétique raffinée, le visiteur s’interroge : Noguchi a-t-il renouvelé la sculpture moderne ? Selon Sébastien Delot, si les détracteurs de Noguchi lui reprochent son éclectisme, c’est plutôt d’une synthèse réussie qu’il faut parler.

Isamu Noguchi, Sculpter le monde,
jusqu’au 2 juin, LaM, 1, allée du Musée, 59650 Villeneuve-d’Ascq.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°609 du 14 avril 2023, avec le titre suivant : La sculpture lumineuse d’Isamu Noguchi

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