Toutes périodes

ARCHÉOLOGIE / EXPOLOGIE

Gaza à l’IMA, un propos trop large

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 6 mai 2025 - 851 mots

L’exposition « Trésors sauvés de Gaza » peine à trouver un équilibre entre présentation d’une collection privée, état des lieux des destructions et propos scientifique.

Lampe à huile de type Loeschke avec scène érotique, époque romaine, Ier siècle avant J.-C., découverte à Gaza, Blakhiyah, terre cuite, 12 x 8 x 3 cm. © Flora Bevilacqua
Lampe à huile de type Loeschke avec scène érotique, époque romaine, Ier siècle avant J.-C., découverte à Gaza, Blakhiyah, terre cuite, 12 x 8 x 3 cm.
© Flora Bevilacqua

Paris. Présenter des pièces archéologiques de Gaza à l’Institut du monde arabe (IMA) alors que des dizaines de Palestiniens sont tués chaque semaine dans les bombardements peut sembler dérisoire. Le père Humbert, qui a fouillé Gaza pendant trente ans (l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, EBAF) a d’ailleurs déclaré à la presse, lors de l’inauguration, que cette exposition semblerait « indécente »à certains, mais qu’elle était nécessaire. Le titre, « Trésors sauvés de Gaza, 5 000 ans d’histoire », ne donne pas d’indice sur son contenu, qui dépasse le cadre d’une exposition d’archéologie classique. Jack Lang, président de l’IMA, revendique pourtant qu’il s’agit d’une« exposition scientifique », ce que confirme la commissaire Élodie Bouffard : on peut donc s’étonner qu’il n’y ait pas de catalogue pour l’accompagner.

Fort de ces annonces, le visiteur peine pourtant à cerner le propos de l’exposition, car la première salle présente à la fois une partie d’une collection privée, et l’historique des fouilles dans la bande de Gaza. Or les pièces exposées ne proviennent pas toutes de ces fouilles, car des pièces exceptionnelles ont été acquises par Jawdat Khoudary, entrepreneur de Gaza passionné d’archéologie. Cette collection a une histoire complexe, car plusieurs centaines de pièces ont été prêtées au Musée d’art et d’histoire de Genève en 2006-2007 puis bloquées en Suisse pour des raisons administratives. Le reste de la collection (près de 4 000 pièces) était exposé à Gaza dans un petit musée privé, jusqu’à ce que des bombardements israéliens et l’occupation du bâtiment réduisent à néant les efforts de Jawdat Khoudary. Ce dernier a précisé à l’automne 2024 qu’il avait pu évacuer une partie de la collection en Égypte avant les bombardements, mais le reste a été détruit ou pillé.

Une médiation confuse

L’exposition rappelle cette histoire par des panneaux de salle posés contre les murs, tout en resituant l’ensemble dans le contexte historique de la région (carte des routes commerciales antiques) et dans le processus de fouilles archéologiques : mais les pièces exposées servent-elles à illustrer l’activité archéologique à Gaza ou est-ce l’inverse ? Le rapport entre les objets et les textes de salle n’est pas toujours évident, d’autant que plusieurs pièces proviennent d’une autre collection, celle de l’Autorité palestinienne, destinée à un futur musée.

Le dépouillement de la scénographie ne lève pas l’ambiguïté : les objets sont présentés sur des supports métalliques gris à roulettes, comme dans un espace de stockage. Les scénographes palestiniens Elias et Yousef Anastas assument un « refus de théâtraliser les objets exposés », ainsi qu’une scénographie « qui met toutes les pièces au même niveau ». Il est vrai que le regard des visiteurs embrasse l’ensemble sans obstacle, et l’éclairage vertical au néon évite de mettre en valeur un objet plus qu’un autre. Mais on note que certaines pièces de petite taille souffrent de l’éclairage : c’est le cas d’une jolie statuette en bronze d’Aphrodite (Ier-IIe siècles après J.-C.) qui reste dans l’ombre. Chapiteaux de colonnes grecques, décors sculptés romains et statuettes de diverses époques donnent un aperçu d’une histoire patrimoniale qui couvre plusieurs millénaires, mais dans une ambiance austère. Le gris comme couleur dominante instaure une atmosphère plus proche de celle d’un hall d’aéroport que d’un musée. Si les scénographes disent vouloir illustrer le fait que la collection« est en transit permanent » comme une partie des Palestiniens, la froideur des matériaux nuit à l’émotion que peut ressentir le visiteur face aux œuvres : la belle mosaïque byzantine de Dayr Al-Balah est ainsi aplatie par l’éclairage...

Mosaïque byzantine du VIe siècle retrouvée à l'emplacement d'une église disparue depuis longtemps (détail) à Gaza. © Flora Bevilacqua
Mosaïque byzantine du VIe siècle retrouvée à l'emplacement d'une église disparue depuis longtemps (détail) à Gaza.
© Flora Bevilacqua

Cette impression persiste partiellement dans la seconde salle, où le propos s’attache aux paysages patrimoniaux et à l’état de conservation des sites, mais le lien avec la première salle est flou. Une série de tirages noir et blanc des archives de l’EBAF entoure des présentoirs métalliques consacrés aux principaux sites fouillés à Gaza : des photographies permettent de constater l’évolution des sites, car plusieurs ont été bombardés ou pillés depuis octobre 2023. C’est donc l’activité de fouille et de préservation qui est mise en valeur, mais les cartes affichées aux murs rappellent l’ampleur des destructions et tempèrent l’espoir suscité par les projets de reconstruction. Dans cette salle, aucune pièce archéologique, ce qui renforce la froideur de la présentation. L’archéologue René Elter, co-fondateur du projet « Intiqal » (transmission en arabe) explique être optimiste à long terme, car les jeunes générations en Palestine sont conscientes de l’importance de préserver le patrimoine. Un ouvrage récent aux éditions Riveneuve, Gaza, Comment transmettre le patrimoine, détaille les résultats des fouilles menées par René Elter et l’EBAF, ainsi que les programmes de formation : restauration de mosaïques, relevés de photogrammétrie, les archéologues palestiniens auront toutes les compétences nécessaires. Cet ouvrage fait office de catalogue d’exposition par défaut, mais là encore il y a ambiguïté : l’ouvrage, fort intéressant, n’est pas consacré à la collection de Jawdat Khoudary, qui aurait mérité un catalogue à part entière. L’exposition peine donc à trouver son homogénéité et son propos, même si elle donne un bon aperçu de la richesse du patrimoine de Gaza grâce à des pièces rarement exposées.

Trésors sauvés de Gaza, 5 000 ans d’histoire,
jusqu’au 2 novembre, IMA, 1, rue des Fossés-Saint-Bernard, 75005 Paris.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°654 du 25 avril 2025, avec le titre suivant : Gaza à l’IMA, un propos trop large

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque