Entretien

Dominique Perrault :
« Les lieux souterrains, des lieux de potentialité de développement »

Architecte, lauréat du prix Praemium Imperiale 2015

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 27 octobre 2015 - 1256 mots

Dominique Perrault, lauréat du Praemium Imperial 2015, explique ses conceptions de l’architecture moderne.

Dominique Perrault (62 ans) vient de se voir attribuer le Prix Imperiale 2015, section architecture, décerné par l’Académie japonaise des beaux-arts. L’architecte décrit son projet de rénovation de l’hippodrome de Longchamp et son concept de Groundscape.

Pouvez-vous détailler votre projet, présenté le 29 septembre, pour le nouvel hippodrome de Longchamp à Paris ?
L’objectif était de réduire le nombre de spectateurs, tout en améliorant les conditions d’accueil et de confort. Autre problématique intéressante : créer un lieu qui, à certains moments, puisse recevoir un événement qui le dépasse légèrement. Rappelons que le jour de l’Arc de Triomphe, Longchamp accueille 60 000 personnes. Intégrer, en un même bâtiment, l’exceptionnel et le quotidien est une question très contemporaine et métropolitaine. L’équation, ici, était simple : moins de mètres carrés, moins de bâtiments, plus de nature. Nous voulions que l’ensemble paysager et classé du bois de Boulogne s’insinue de la périphérie de l’hippodrome vers son cœur. La nouvelle tribune est comme tapie dans le paysage. Ce dernier reprend ainsi une force et une présence qu’il avait perdues. Nous ne sommes pas dans un processus de restitution, mais de révélation : l’architecture révèle la nature alentour.

Concrètement, comment ce nouveau bâtiment se déploie-t-il ?
Auparavant, depuis la route, on ne voyait pas le champ de course. L’ancienne tribune était un mur infranchissable de 300 mètres de long. La nouvelle, au contraire, offre de nombreuses ouvertures. On peut voir aussi bien le rond de présentation, côté route, que le champ de course. Cette tribune fonctionne comme une grande étagère. Il n’y a ni devant, ni derrière. On embrasse le paysage
à 360°.

En clair, vous vous inscrivez en douceur dans le contexte existant ?

Non. Dire que l’on vient « s’inscrire » dans un contexte est une hypocrisie. Nous ne sommes jamais dans une situation d’allégeance. La capacité de l’architecte, par nature, est de creuser, d’édifier. Le geste de construire n’est pas un geste de douceur. Il peut même parfois être violent. Le contexte est un « matériau » sur lequel on intervient et dont on va changer la nature. On transforme un lieu par un nouveau lieu, c’est ça l’architecture. L’acte de création est un acte de transformation.

D’où provient ce désir d’une architecture « ouverte » ?
Aujourd’hui, nombre de bâtiments produisent une ville étanche. Ils créent une séparation, des barrières. L’art de l’architecte est un art qui construit de l’interdit. Or l’architecture, lorsqu’elle se réduit à elle-même, n’est plus opératoire. Cette architecture est morte ou doit disparaître. Il faut aller au-delà. Pluridisciplinaire et globalisée, l’architecture est aujourd’hui face à un champ des possibles qui n’a jamais été aussi grand.

Ce désir d’ouverture se traduit entre autres, dans vos bâtiments, par un travail sur la transparence ?
Cela fait trente ans que nous travaillons sur cette problématique : la critique physique du mur qui sépare, mais qui nous protège aussi. Il n’est bien sûr pas question de ne pas être protégés par des murs, mais ils ne doivent pas nous séparer. Réfléchir à cet entre-deux nous a, par exemple, amenés à travailler sur l’épiderme de la ville et sur le développement d’un système souterrain. Une interface entre le monde à l’air libre et le monde enfoui dans la terre, un biotope qui pourrait « nourrir » la ville, alors qu’il n’existe, aujourd’hui, aucune perméabilité, aucune porosité, entre les différents réseaux souterrains.

D’où, ce nouvel espace à explorer que vous avez baptisé Groundscape… Pouvez-vous préciser cette notion ?
Il nous fallait sortir des considérations sombres, tristes, voire inquiétantes du sous-sol, du souterrain, de l’underground. Le vocable Groundscape fait évidemment référence à landscape (NDLR paysage). Notre but est de montrer que les lieux souterrains sont des lieux de ressources et de potentialités de développement urbain. On peut augmenter la densité urbaine sans consommer de l’espace et en protégeant le vide urbain qui, lui, est nécessaire. On peut créer de l’espace supplémentaire sans perdre la dimension aérée de la ville. Ainsi, plus besoin d’étendre les métropoles, elles peuvent se régénérer sur elles-mêmes.

Vous proposez ainsi de poser l’Arc de triomphe, à Paris, sur un sol en verre ?

Oui. Ce monument est aujourd’hui très difficile d’accès. Il pourrait être révélé grâce à l’introduction de la lumière naturelle dans le sol. Amener dans le mémorial une lumière symbolique et poétique serait, en outre, un signe fort. Il existe aussi, sous le monument, un souterrain automobile inutilisé qui pourrait devenir une grande salle des pas perdus, en prise directe avec le métro. Ainsi reconnecté, l’Arc de triomphe serait enfin complètement intégré à la ville. Paris possède un ensemble patrimonial unique au monde. Il faut travailler sur cette valeur. Des projets contemporains peuvent mettre en exergue ce patrimoine, dans un processus de révélation.

N’est-ce pas le cas avec le pavillon Dufour, à Versailles, que vous livrerez l’an prochain ?
Si. À Versailles, c’est la première fois, depuis plusieurs siècles, que l’on construit des mètres carrés supplémentaires. La problématique est évidente : le château était trop petit pour accueillir l’ensemble des visiteurs. Il fallait donc « l’agrandir », sans que le patrimoine n’en souffre. Nous avons donc réalisé une extension en sous-sol, creusé un escalier et installé un vaste prisme de verre qui apporte de la lumière naturelle. L’exemple est éloquent : c’est une intervention contemporaine, un volume très conceptuel, à l’intérieur d’un chef-d’œuvre du patrimoine.

Dans un autre registre, ce sera le cas aussi de la future gare de Villejuif, dans le Val-de-Marne, qui sera édifiée dans le cadre du projet du Grand Paris Express ?
Oui. En clair : c’est une gare de plein air… à 50 mètres de profondeur. En descendant du métro, l’on se retrouve dans un espace ventilé et éclairé naturellement. En levant la tête, l’on voit le ciel. La gare de Villejuif est un travail sur un vide qui permet de vivre. C’est l’idée d’une ville verticale, d’une ville qui a une profondeur et qui est le prolongement de la ville du sol. Par ailleurs, d’un point de vue technique, on peut réaliser intelligemment des économies d’énergie. Le sous-sol est isotherme, passif, alors qu’en surface, on est obligé d’isoler beaucoup.

La Bibliothèque nationale de France fête cette année ses 20 ans. Ce projet qui vous a fait connaître a eu du mal à se faire accepter…
Au moment du concours, en 1995, c’était un projet extrêmement conceptuel : un grand vide encadré de quatre tours au milieu d’une friche industrielle. « Pourquoi construire du vide au milieu du vide ? » ont objecté certains. Sauf que ce vide initial, constitué par des formes architecturales, avait bien un statut : c’est un espace public, au bord de la Seine, une grande place comme les Invalides ou la Concorde. Effectivement, c’est maintenant seulement que ce projet commence à être compris, a fortiori parce que ses abords sont désormais construits.

Vous avez reçu, le 21 octobre, à Tokyo, le Praemium Imperiale, section architecture. Quelle signification ce prestigieux prix a-t-il pour vous ?
C’est surtout une belle surprise, contrairement à un concours où l’on attend toujours le résultat dans l’inquiétude ! Ce qui est beau, avec ce prix, c’est qu’il touche l’ensemble des arts. Ce n’est pas un prix commercial, mais un prix profondément culturel, même si l’architecture est moins à l’aise, dans sa mobilité, que le cinéma ou la peinture. Ce n’est pas un prix de promotion, mais d’exception. Il est, par définition, émouvant, car il y a une notion d’œuvre. Le Praemium Imperiale est un signe d’encouragement et d’accompagnement par rapport aux doutes que l’on a en permanence.

Légende photo

Dominique Perault. © Photo : Patrick Swirc.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°444 du 30 octobre 2015, avec le titre suivant : Dominique Perrault :<br />« Les lieux souterrains, des lieux de potentialité de développement »

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