Dévoilez ce Serrano que nous ne savons voir

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 7 août 2007 - 382 mots

Première exposition d’envergure dans une institution française, première exposition aussi complète en Europe et en Amérique du Nord, rien que ça. C’est ce qu’offre la Collection Lambert à ses visiteurs en Avignon.

Une visite sous haute tension compte tenu du pedigree sulfureux de l’invité : le photographe américain Andres Serrano, touché par le scandale à la fin des années 1980, menacé de mort et paria pour avoir plongé et photographié un crucifix dans de l’urine. Piss Christ est d’ailleurs exposé pour la première fois en France sous haute protection puisqu’il s’agit du dernier exemplaire à ne pas avoir subi les outrages des fondamentalistes.

Nombre de connaisseurs de l’œuvre du photographe américain s’arrêtent d’ailleurs aux scandales. Il est vrai qu’ils sont légion. La confrontation de Nomads, portraits de sans-abri pris à la manière de Géricault lorsqu’il peint les esclaves noirs, avec des membres cagoulés du Ku Klux Klan, dérange. Et puis La Morgue, série intense, expérience physique limite, nous ramène à l’image de la mort la plus crue. History of sex, tapie derrière un lourd rideau de velours pour éviter que des yeux innocents ne s’y promènent, procède de la même froideur clinique avec ses professionnels du sexe exhibant leurs « prouesses » sans aucun érotisme.

L’aura maléfique qui entoure certains sujets aurait pu faire craindre une exposition purement provocatrice. Mais habilement recadrées par d’autres séries moins connues, les photographies incriminées finissent par dévoiler leur vrai visage. Une lecture acérée de l’iconographie catholique, une analyse sans tabous des symboles et des valeurs iconiques. Lorsqu’il photographie les cadavres de la morgue, Serrano nous confronte à la mort ni plus ni moins que Holbein peignant le corps supplicié du Christ ou que Mantegna réalisant l’un des plus beaux tableaux de Jésus sur la table d’onction.

Derrière l’écran de polémique qui s’exhale des photographies de Serrano, se cachent aussi une grande culture picturale et une réflexion profonde sur la dévotion. Objets du désir est à ce titre édifiant. Une petite dizaine de gros plans sensuels de barillets et de canons d’armes à feu. Nouveau culte païen et dérive des sociétés modernes ? Andres Serrano ne fait surtout aucune concession au politiquement correct.

« Andres Serrano, la part maudite », Collection Lambert, 5, rue Violette, Avignon (84), tél. 04 90 16 56 20, jusqu’au 11 février 2007.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°587 du 1 janvier 2007, avec le titre suivant : Dévoilez ce Serrano que nous ne savons voir

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