Art moderne

Bonnard, la peinture comme refuge

Pour la première fois depuis son ouverture, le Musée d’Orsay consacre une rétrospective à Pierre Bonnard, peintre d’une joie de vivre teintée de mélancolie.

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 24 mars 2015 - 657 mots

PARIS

Dans cette première rétrospective organisée par le Musée d’Orsay, l’oeuvre de Pierre Bonnard brille par sa grande cohérence esthétique. Le peintre est en effet resté fidèle aux grands principes picturaux développés à ses débuts, au cours de sa période nabi. Mais malgré les apparences, le bonheur de vivre qu’il a tant représenté relève plus du fantasme que de la réalité.

PARIS - Le souvenir de « Bonnard, l’œuvre d’art, un arrêt du temps », relecture formaliste de l’œuvre tardif du peintre par Suzanne Pagé au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2006 est encore frais (lire le JdA n° 231, 17 février 2006). Celui de la grande réhabilitation du Musée national d’art moderne-Centre Georges Pompidou (Mnam), montée par Jean Clair en 1984, l’est aussi pour certains. Au tour cette fois du Musée d’Orsay de donner sa version de l’œuvre de Pierre Bonnard (1867-1947) avec pour légitimité affichée celle de détenir le plus important fonds de l’artiste. En prenant le parti d’un accrochage mettant en scène les grands thèmes de la carrière du peintre toutes périodes confondues pour en faire ressortir l’unicité (Marthe au bain, la Normandie et la Méditerranée, les grandes décorations, les portraits, les intérieurs…), « Pierre Bonnard (1867-1947). Peindre l’Arcadie » renouvelle le regard sensible sur ses peintures. L’artiste, que le naturalisme et la modernité laissaient parfaitement indifférent et qui préférait son imaginaire à la (souvent triste) réalité, regagne son titre de grand maître de fiction décorative.

Peintre de l’Arcadie, Pierre Bonnard l’est sans conteste. Dans ses yeux, même la prairie normande la plus fade prend les traits d’un foisonnant jardin méditerranéen terrassé par le soleil et la chaleur. Mais si les enfants et les adultes, les animaux, les faunes et les nymphes y batifolent en toute décontraction (voire indifférence), le souci du lendemain est bel et bien laissé au peintre. Pas d’états d’âmes chez Bonnard : à l’exception de ses portraits, ses personnages semblent d’ailleurs en être dépourvus.

Coloriste et japonisme
De nature réservée, l’artiste n’étale pas sa vie, ses angoisses ou ses opinions dans ses toiles à la manière d’un Picasso – qui d’ailleurs le conspuait. Bien au contraire, ses tableaux célébrant les petits bonheurs du quotidien (un jeu de croquet à la tombée du soir, une sieste à l’ombre d’un arbre…) tiennent le rôle de refuge face aux épreuves de la vie. « Comme Peer Gynt emporté dans les songes de ses vies multiples, il développa des fictions au lyrisme illimité pour oublier ses chagrins secrets. Sa peinture rayonne d’une vitalité optimiste, mais son quotidien était loin de ressembler aux images hédonistes, tendres, drôles et enchantées de ses toiles », résume Isabelle Cahn dans le catalogue de l’exposition. La santé mentale défaillante de son épouse Marthe à laquelle il fut (in)fidèle jusqu’à la mort est même à l’origine de sa série la plus célèbre, étalée sur plusieurs décennies. Bonnard le magicien transforme une prescription médicale de bains thérapeutiques en la célébration du plaisir d’un bon bain chaud…

Si le peintre abuse de juxtapositions vibrantes de couleurs qui réjouissent la rétine, ses compositions élaborées se chargent de traduire un certain malaise. Jeux de perspectives déroutants, reflets de miroirs déconcertants, motifs traités en larges aplats qui mélangent tous les plans, personnages fondus dans le décor qui apparaissent au bout de quelques secondes d’accoutumance de l’œil… toutes ses caractéristiques héritées du japonisme, qui démontrent que l’art de Bonnard est moins accessible qu’il n’y paraît, sont mises en place dès ses débuts. Le parcours prend ainsi un goût cinématographique, comme si chaque thème faisait l’objet d’un long plan-séquence laissant apprécier le travail effectué sur plusieurs années. L’accrochage impeccable favorise l’immersion, et l’émotion de la forme prime sur la fausse naïveté du fond – un sentiment rehaussé par la grande place faite aux ensembles décoratifs (pour certains reconstitués comme La Cueillette des pommes, V. 1899) grâce à quelques prêts exceptionnels. Si Bonnard ne peint pas vraiment le bonheur, la peinture lui en procure assurément.

Pierre Bonnard 1867-1947. Peindre l’Arcadie

Jusqu’au 19 juillet, Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion d’Honneur, 75007 Paris
tél. 01 40 49 48 14
www.musee-orsay.fr
tlj sauf lundi 9h30-18h, jeudi 9h30-21h45, entrée 11 €.
Catalogue, coéd. Musée d’Orsay/Hazan, 308 p., 45 €.

Légende photo
Pierre Bonnard, Salle à manger à la campagne, 1913, huile sur toile, 164,5 x 205,7 cm, The Minneapolis Institute of Arts, Minneapolis. © Photo : Minneapolis Institute of Arts/The John R. Van Derlip Fund/Bridgeman Images.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°432 du 27 mars 2015, avec le titre suivant : Bonnard, la peinture comme refuge

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque