Art moderne

Paris 7e

Bonnard en eau tiède

Musée d’Orsay Jusqu’au 19 juillet 2015

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 14 avril 2015 - 497 mots

Y avait-il urgence à programmer une nouvelle exposition Pierre Bonnard ? À Paris, pas vraiment.

La dernière en date fut celle organisée par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, il y a moins de dix ans, en 2006. Elle faisait suite à une autre rétrospective, certes plus ancienne, mais qui a marqué les esprits : « Bonnard », dont Jean Clair – l’auteur d’un article sur « Les aventures du nerf optique » – était le commissaire inspiré au Centre Pompidou ; c’était en 1984. Il n’y avait donc pas d’urgence, non. Et pourtant, le Musée d’Orsay, qui n’avait jamais présenté de grande exposition sur le peintre, alors même qu’il en conserve quatre-vingt-sept peintures, plusieurs centaines de dessins et de photographies, se devait de lui rendre hommage. C’est chose faite depuis le 17 mars. Pour éviter les redites et les comparaisons malheureuses, les commissaires d’Orsay, Guy Cogeval et Isabelle Cahn, ont intelligemment pris le parti d’organiser la rétrospective par thèmes et non suivant la chronologie, comme ce fut le cas précédemment. Neuf sections articulent donc le parcours, qui va d’« Un nabi très japonard » à « Et In Arcadia Ego ». Si l’approche est pertinente, le parcours de l’exposition se révèle finalement assez convenu : le japonisme, le bain, la photographie, la Normandie, le Midi, etc., doivent montrer la permanence des recherches de Bonnard, qui, en dépit d’une longue carrière, ne céda jamais aux sirènes des avant-gardes – ou alors en réaction. Les titres des sections ne parviennent eux-mêmes pas à sauver l’ensemble, qui marquent une certaine paresse intellectuelle : « Histoire d’eau », pour le chapitre sur les femmes à la toilette, ou « Clic clac Kodak », pour celui sur la photographie. C’est dommage car les œuvres et les prêts obtenus par les commissaires sont souvent remarquables, et certaines hypothèses, comme la reconstitution d’un possible cycle décoratif en début d’exposition, pertinentes. Mais ce qui est regrettable, c’est qu’il y avait sans doute mieux à faire depuis la disparition, en 2013, d’Antoine Terrasse. Si le petit neveu de Bonnard (à qui l’exposition est dédiée) demeure l’un des meilleurs exégètes de Bonnard, il fut aussi l’un de ceux qui véhicula l’image d’un Bonnard peintre du bonheur absolu, nageant dans l’ivresse du corps de Marthe, son épouse… La réalité est, on le sait aujourd’hui, plus complexe. L’arcadie de la maison de Bonnard forme aussi les murs de la prison que finit par édifier autour de lui la folie de Marthe. Marthe, la muse dont le corps semble étrangement ne jamais vieillir, et dont on sait maintenant qu’il ne fut, tant s’en faut, pas toujours le sien. Quant aux vues plongeantes et oppressantes de Marthe dans son bain, montrent-elles la femme à sa toilette ou Marthe se noyant dans sa propre aliénation ? Si Orsay parvient à monter une très belle exposition, il rate aussi l’occasion de s’attaquer à l’une des légendes  les plus tenaces de la peinture moderne. Et de corriger l’histoire de l’art.

« Pierre Bonnard. Peindre l’Arcadie »

Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’Honneur, Paris-7e, www.musee-orsay.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°679 du 1 mai 2015, avec le titre suivant : Bonnard en eau tiède

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