Art ancien

XVIIIe-XIXe SIÈCLES / EXPOLOGIE

Au Louvre, un David engagé et exalté

Par Marion Krauze · Le Journal des Arts

Le 26 novembre 2025 - 799 mots

Les chefs-d’œuvre du grand peintre d’histoire sont réunis dans un parcours qui retrace sa vie avec clarté et privilégie une lecture sensible de son œuvre.

Jacques-Louis David (1748-1825), Les Sabines, 1799, huile sur toile, 385 x 522 cm, Paris, Musée du Louvre. © GrandPalaisRmn / Mathieu Rabeau / Sylvie Chan-Liat
Jacques-Louis David (1748-1825), Les Sabines, 1799, huile sur toile, 385 x 522 cm, Paris, Musée du Louvre.
© GrandPalaisRmn / Mathieu Rabeau / Sylvie Chan-Liat

Paris. Rigidité des postures, puissance de l’expression : faire face dès l’entrée au célèbre Serment des Horaces (1784) est le prélude à une longue série d’œuvres tout aussi emblématiques de Jacques-Louis David (1748-1825). Des œuvres si profondément ancrées dans notre imaginaire qu’il est bien difficile d’en renouveler la lecture. À l’occasion du bicentenaire de sa mort, le Louvre s’empare du défi en consacrant une nouvelle rétrospective au grand peintre d’histoire, trente-six ans après la dernière qu’il lui avait consacrée, en 1989. Une sorte de retour aux sources pour le musée, qui entretient un lien historique fort avec l’artiste : David y a vécu, y a exposé, et le Louvre conserve aujourd’hui l’ensemble le plus important de ses œuvres. Sur les cent tableaux et dessins présentés, un tiers provient donc des collections du musée, une sélection complétée par de nombreux prêts. Le corpus est riche, certes plus resserré que celui de 1989 – qui réunissait près de 250 pièces, réparties entre le Louvre et le château de Versailles –, mais comprend quelques œuvres qui n’avaient pas fait le déplacement à l’époque, comme l’emblématique Mort de Socrate du Metropolitan Museum of Art (New York).

La spécificité de l’exposition réside cependant dans son approche : celle d’aborder le « monument David » en privilégiant une lecture plus sensible de son œuvre. « L’un des enjeux, c’est de montrer que David trouve un langage approprié à son temps, celui d’une époque troublée qui voit naître un monde nouveau. C’est pour cela que nous n’utilisons pas le terme de “néoclassique”, qui renvoie au XVIIIe siècle et à une conception grandement formaliste de son œuvre », explique Sébastien Allard, chargé du commissariat avec Côme Fabre et Aude Gobet, respectivement conservateurs et directrice du service d’étude et de documentation du département des Peintures du Louvre. L’objectif est atteint : la rétrospective brosse le portrait d’un peintre inventif, novateur, loin de la froide rigueur à laquelle il peut être cantonné. Ses œuvres sont appréhendées dans leur qualité picturale, décrites en pointant leur originalité : l’intensité dramatique du Saint Roch de ses débuts, le coloris audacieux d’une Andromaque en deuil, ses portraits frappants par leur épure…

Jacques-Louis David (1748-1825), Marat assassiné, 13 juillet 1793, 1793, huile sur toile, 165 x 128 cm, Bruxelles, Musées royaux des beaux-arts de Belgique. © J. Geleyns
Jacques-Louis David (1748-1825), Marat assassiné, 13 juillet 1793, 1793, huile sur toile, 165 x 128 cm, Bruxelles, Musées royaux des beaux-arts de Belgique.
© J. Geleyns
Politiquement engagé

« Un autre point nous semblait important, celui de redonner de la continuité à la carrière de David, dont la production a été largement découpée en périodes qui correspondent aux six régimes politiques qu’il a traversés », poursuit Sébastien Allard. Au lieu de ce découpage préconçu, la progression linéaire retrace donc l’intégralité de sa carrière, de ses premières déconvenues à son succès grandissant, de son engagement politique de plus en plus radical à son exil à Bruxelles. Le tout avec clarté et didactisme, chose peu aisée au vu de la complexité du contexte historique. Les multiples rebondissements politiques, auxquels David est si intrinsèquement lié, sont judicieusement résumés dans chaque cartel en quelques dates-clés. L’exposition se concentre ainsi sur son art, son évolution, sans pour autant le séparer de son contexte.

L’œuvre est également mise en regard avec quelques compositions de ses contemporains : Girodet, Ingres, Gros, Gérard…, des points de comparaison bienvenus puisque David s’inspire et inspire. Le parcours pointe le passage d’un réalisme caravagesque à un art plus inspiré par Nicolas Poussin, de l’affirmation de son identité artistique au développement progressif de son atelier.

Son héritage, en revanche, n’est que brièvement introduit à travers la production picturale de ses élèves, sans mention faite de l’impact considérable qu’il a aussi exercé dans les arts décoratifs, dans la transmission d’un style. La révolution qu’opère David n’en reste pas moins éclatante. Si Le Sacre de Napoléon (1807) n’a pu être déplacé des étages au vu de ses dimensions, l’immense ébauche du Serment du Jeu de paume (1791), une célébration de l’unité de la Nation restée inachevée, est venue tout droit de Versailles. Plus loin, son chef-d’œuvre Les Sabines (1799, [voir ill.]), spectaculaire scène de bataille empreinte de violence et d’émotion, est rapprochée de ses études préparatoires. Car, point fort de l’exposition, les dessins si subtilement travaillés de l’artiste, moins montrés, retrouvent ici toute leur importance.

Sur fond noir, dans un espace épuré, les trois versions du Marat assassiné sont exceptionnellement réunies, l’original (1793) ayant été prêté par les Musées royaux des beaux-arts de Belgique (Bruxelles). Un beau geste scénographique les fait se répondre, les confronte dans un face-à-face saisissant. Tout du long, l’exposition est portée par un agencement réfléchi (conçu par le scénographe du Louvre Juan-Felipe Alarcon), qui joue sur les échos visuels, qui rapproche les compositions en aménageant des points de vue. C’est ainsi que le geste conquérant de Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard (1801), doigt pointé vers le haut, semble guider le visiteur vers la suite d’un parcours demeurant jusqu’au bout consistant.

Jacques-Louis David,
jusqu’au 26 janvier 2026, Musée du Louvre, hall Napoléon, rue de Rivoli, 75001 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°665 du 14 novembre 2025, avec le titre suivant : Au Louvre, un David engagé et exalté

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