Art ancien

Jacques-Louis David, La Mort de Socrate

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 23 septembre 2025 - 1088 mots

En cette fin d’année, le public peut redécouvrir au Musée du Louvre le néoclassicisme conçu par le peintre Jacques-Louis David, par lequel les sujets historiques et nobles ont fait écho aux aspirations politiques d’un peuple à la veille de la Révolution.

L’épisode de l’enlèvement des Sabines, La Mort de Marat, Le Serment des Horaces, Le Sacre de Napoléon ; tout le monde connaît Jacques-Louis David (1748-1825). Ses images grandioses habitent de manière indélébile notre inconscient collectif tant elles ont été reproduites dans les manuels scolaires. Ces tableaux, d’une perfection technique et d’une construction savante, s’imposent ainsi comme des évidences, à tel point qu’il est difficile d’imaginer la profonde rupture esthétique et conceptuelle qu’ils ont incarnée en leur temps. Quand David commence sa carrière, quelques années avant que n’éclate la Révolution française, le style rococo perd de plus en plus de terrain. Le public lassé par son emphase décorative et la frivolité de ses sujets aspire à un profond renouvellement de la peinture. L’artiste va incarner cette régénération artistique en phase avec les bouleversements politiques que vit alors la France. Il pose les bases d’un langage inédit qui synthétise les recherches d’un aréopage de savants, archéologues, artistes et écrivains. Il dessine alors le canon du néoclassicisme, un style radicalement neuf qui va déferler sur l’Europe entière. Sa force est de renouveler complètement le vocabulaire plastique en puisant aux racines antiques pour façonner un art moderne porteur de messages. Exit les tableaux légers et récréatifs qui, des décennies durant, ont fait leur miel des amours contrariées et lascives des dieux, des nymphes ou des bergères. Les tenants du néoclassicisme prônent au contraire l’austérité, les sujets nobles et surtout édifiants. David fera sa marque de fabrique de l’exaltation des modèles antiques selon une formule codifiée : l’exemplum virtutis, c’est-à-dire un sujet offrant un exemple de vertu qui résonne avec les problématiques de son temps. Ces tableaux sont ainsi autant des représentations de l’histoire antique qu’une exaltation du dévouement patriotique et des valeurs civiques. Pour le public du Salon de 1787, La Mort de Socrate constituait autant un tour de force plastique qu’un évident manifeste politique.

La liberté ou la mort

La mort de Socrate est le sujet néoclassique par excellence puisqu’il exalte l’héroïsme d’un grand personnage qui a choisi une mort noble plutôt qu’une vie sans honneur. Le philosophe a en effet été condamné à la peine capitale par les Athéniens au terme d’un procès inique. Modèle de vertu, il refuse de s’enfuir et accepte avec courage la sentence. Dans le fond comme dans la forme, la composition rigoureuse au style sévère capture le moment fatidique où il s’apprête à boire la ciguë, le poison mortel que lui apporte un esclave. Ce dernier détourne le regard car il n’assume pas ce geste indigne, alors que Socrate libéré de ses fers est au contraire impassible. Son visage est serein car il affronte son destin en se conformant à une décision de justice et regagne ainsi sa liberté dans la mort. Pour les contemporains de David cette scène est immédiatement lue comme une allégorie de l’injustice et de la grandeur d’un martyr du despotisme qui trouve un puissant écho dans le contexte prérévolutionnaire.

Austérité antique

L’un des fondements du néoclassicisme est de vouloir régénérer l’art et les mœurs contemporains en puisant dans les valeurs et l’esthétique antiques. Il prend ainsi le contrepied du style rococo qui dominait la scène artistique depuis un demi-siècle. Les couleurs légères et poudrées cèdent ainsi la place à une palette assagie, les compositions se font plus sobres et lisibles, et l’expression des sentiments évacue le pathos pour se concentrer sur la représentation d’émotions nobles et retenues. Les compositions de David, puis de ses épigones, se distinguent ainsi par l’ordre et la rigueur présents dans les moindres détails. Le décor est presque toujours austère et les accessoires réduits à l’essentiel pour ne pas détourner le regard du sujet du tableau. Le dépouillement atteint ici son paroxysme avec un mobilier minimaliste (lit funéraire, lampe) et l’arrière-plan se réduit à un mur nu et une oppressante voûte en plein ceintre comme seul élément architectural remarquable.

Vérité archéologique

Dès son apparition, ce style nouveau soulève une fervente adhésion du public, des critiques et des savants. Il faut dire que les meilleurs peintres néoclassiques sont animés d’un profond souci d’exactitude archéologique qui ne peut qu’enthousiasmer les historiens. Pour être le plus proche possible de l’univers antique, David peint d’ailleurs ce tableau à Rome et se documente abondamment dans les sources antiques comme dans les textes d’historiens de son époque. Pour celui-ci, il a même consulté des savants afin de trouver la vérité du costume, des coiffures et des meubles. Aux pieds de Platon, représenté ici, on voit un volumen, des papyrus collés pour composer un livre qui s’enroule, ainsi qu’un calame, l’ancêtre du stylo constitué d’un roseau taillé. Pour atteindre une vraisemblance historique parfaite, il s’inspire également de modèles antiques pour disposer ses personnages. La composition en frise évoque ainsi certains décors recouvrant des sarcophages antiques.

Une œuvre symbolique

Bien qu’elle soit nourrie de solides références, le tableau n’en demeure pas moins une création et ne doit donc pas être appréhendé comme l’illustration d’un fait réel. À plusieurs reprises, David se permet une certaine licence artistique. Afin d’accentuer sa grandeur morale, il fait ainsi de Socrate, septuagénaire réputé pour sa laideur, un homme à la plastique parfaite. Il vieillit également Platon, qui est un jeune homme à l’époque, car il s’inspire des portraits du philosophe qui le montrent tous âgés. Il le place même au premier rang du drame alors que les historiens s’accordent sur le fait que le disciple est absent lors de cet épisode ! Ces pas de côté sont en réalité volontaires car ils tendent à accentuer la dimension symbolique de ce tableau qui est porteur d’un message civique et philosophique. Plus qu’une représentation éloquente de la mort de Socrate, cette toile est une mise en image de ses préceptes et notamment de son discours sur l’immortalité de l’âme qu’il aurait prononcé le doigt fièrement levé.

 

1748
Naît à Paris
1774
Prix de Rome pour « Erasistrate découvrant la cause de la maladie »
1793
Élu député jacobin et vote la mort du roi ; il peint « La Mort de Marat »
1794
Emprisonné, il échappe de peu à la guillotine
1805-1807
Devient peintre officiel de Napoléon Ier et peint « Le Sacre de Napoléon »
1816
Après la chute de l’Empereur, il s’exile à Bruxelles
1824
Peint des tableaux essentiellement mythologiques dont « Mars désarmé par Vénus et les Grâces »
1825
Meurt à Bruxelles
À Voir
« Jacques-Louis David », Musée du Louvre, rue de Rivoli, Paris-1er, du 15 octobre au 26 janvier 2026, www.louvre.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°789 du 1 octobre 2025, avec le titre suivant : Jacques-Louis David, La Mort de Socrate

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