Espagne - Art contemporain

XXE SIÈCLE

Antonio Saura, peintre en série

Par Julie Goy, correspondante en Espagne · Le Journal des Arts

Le 14 novembre 2023 - 615 mots

VALENCE / ESPAGNE

À Valence, une grande rétrospective retrace l’œuvre du peintre espagnol, de ses débuts surréalistes à ses séries noires et énigmatiques.

Valence, Espagne. Après une grande rétrospective de Fernando Botero et deux expositions de Joaquín Sorolla dont l’une ouvrait ses portes début octobre, la Fondation Bancaja poursuit sa série de monographies avec un hommage à Antonio Saura (1930-1998), disparu il y a vingt-cinq ans. Fondateur du groupe artistique d’avant-garde El Paso en 1957, aux côtés de Manolo Millares, Luis Feito et Rafael Canogar, Saura est l’un des artistes espagnols du siècle dernier à avoir bénéficié d’une belle notoriété à l’international, célèbre pour ses peintures aux traits noirs épais et à l’atmosphère angoissante.

Du surréalisme aux séries sombres

Dans sa jeunesse, Antonio Saura est confronté à la violence de la guerre civile espagnole, un souvenir tenace qui marque l’ensemble de sa production artistique. Très malade durant son adolescence, il traverse une longue période de solitude et s’initie tout seul à l’art et à l’écriture, traduisant son isolement dans ses créations. Inspiré par le surréalisme, qu’il voit comme un art échappant à tout contrôle étatique, il crée dès la fin des années 1940 ses séries « Constellations » et « Paysages », qui lui valent une première exposition à la salle Libros de Saragosse en 1950 et à la galerie Buchholz de Madrid un an plus tard. Comme nombre d’artistes étrangers, il tente l’aventure parisienne en 1954, où il partage un atelier avec son ami Simon Hantaï. Venu pour rencontrer le groupe des surréalistes, Saura est déçu de leur formalisme et s’inspire par la suite de l’abstraction lyrique, plus spontanée à son sens, influencé par son compatriote Joan Miró. Il crée alors ses « Phénomènes » et ses « Grattages », deux premières séries en noir et blanc, qu’il expose à la Bibliothèque nationale d’Espagne. La gamme chromatique sombre de ses grandes huiles sur toiles, allant des gris, des noirs aux bruns, définie dès lors son travail et contraste avec ses premières toiles colorées d’inspiration surréaliste, réunies dans une salle à part de l’exposition et soulignant sa rupture stylistique après 1955.

Cette rétrospective montre l’ensemble de ses séries, telles que « Dames », « Crucifixions » et « Foules », caractéristiques de ses toiles troublantes et inquiétantes. Certaines œuvres, moins obscures, traduisent l’humour de Saura, comme ses « Cocktails » des années 1970, où d’étranges personnages expriment des banalités, notamment en français, inscrites dans des bulles de bande dessinée. Cette série fait partie de la période de son œuvre où il juxtapose des formes et éléments divers, comme dans ses « Accumulations », « Cathédrales », « Montages », « Mutations », « Répétitions » et « Puzzles », séries montrées successivement, afin que le visiteur ne s’égare pas entre ces nombreuses thématiques.

Les visages du monstre

Le thème du visage, très présent dans son travail, traduit les influences de l’artiste, à commencer par son triptyque des Trois Grâces (1997, voir ill.), œuvre tardive qui accueille le visiteur, le plongeant dans sa composition chaotique où se retrouvent des formes abstraites de monstres, récurrentes chez Saura. Les visages abstraits se développent dans ses travaux après 1957, lorsque Saura acquiert des masques extra-occidentaux, dont les déformations de la figure humaine, inquiétantes, lui évoquent les violences de la guerre civile. La série des « Portraits imaginaires », travaillée de la fin des années 1960 aux années 1980, montrant aussi bien Dora Maar que Felipe II, traduit toujours cette atmosphère de désolation propre à l’artiste. Il fait également à plusieurs reprises le portrait de Francisco de Goya qu’il admire profondément, créant même une série sur « Le chien de Goya ».

L’ensemble de 87 peintures, dessins et œuvres graphiques de l’exposition, datés entre 1948 et 1997, s’accompagnent d’écrits d’Antonio Saura reproduits sur les murs, issus de ses nombreuses publications sur son œuvre et sur l’art en général, venant expliciter la pensée complexe de l’artiste.

Antonio Saura. Essentiel,
jusqu’au 28 janvier 2024, Fondation Bancaja, place de Tetuan, 23, 46003 Valence, Espagne.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°620 du 3 novembre 2023, avec le titre suivant : Antonio Saura, peintre en série

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