Loin d’user d’un regard surplombant, le Musée des Confluences laisse parler les populations autochtones, et renouvelle le concept d’exposition ethnologique en l’ancrant dans une contemporanéité.

Lyon. Plus grande forêt tropicale du globe, l’Amazonie héberge des populations très diverses dont le grand public connaît mal le mode de vie, en dehors de quelques stéréotypes (le chef Raoni, la déforestation). Préparée par plusieurs séjours au Brésil de Marie-Paule Imberti, responsable des collections au Musée des Confluences, à Lyon, cette exposition a été conçue comme un « partenariat » avec trois villages de l’Amazonie, comme l’explique la commissaire Marianne Rigaud-Roy. Situés dans des régions différentes, ces villages sont au fondement d’une exposition qui rentre en détail dans les modes de vie et les croyances des populations autochtones.
La scénographie joue une partition immersive (bruits d’oiseaux, témoignages audio en langues autochtones, écrans numériques) tout en plongeant les visiteurs dans une ambiance de sous-bois avec des lumières tamisées. « Les pendrillons en papier vert imitent les trouées de lumière dans la forêt », précise Marianne Rigaud-Roy, en accord avec les murs verts des différentes sections du parcours : le visiteur est donc plongé dans une ambiance de forêt vivante.

Après un prologue sur le milieu de vie des populations illustré par une projection vidéo de vues aériennes et des échantillons de céramiques anciennes, « Amazonies » présente successivement les trois villages étudiés : chef de tribu, activités économiques, artisanat, rites et croyances constituent le contenu principal de chaque section. Si ces thèmes restent ceux d’une étude ethnologique occidentale traditionnelle, le soin apporté aux points de vue autochtones s’en distingue. Le comité scientifique de l’exposition est constitué d’universitaires français et brésiliens, afin d’éviter tout regard surplombant. De même, les villages ont été choisis par un organisme brésilien spécialisé dans les relations entre autochtones et touristes ou chercheurs. Enfin les noms des populations utilisés dans l’exposition sont ceux que ces populations utilisent pour se désigner, et non ceux retenus par l’ethnologie occidentale.

De fait, la manière de présenter les villages et leurs habitants apparaît respectueuse et met systématiquement en lumière les nuances ou les différences, comme dans l’usage de peintures corporelles. Chez les Mebêngôkre, c’est l’ensemble du corps qui est peint quotidiennement au cours de longues séances, alors que chez les Asháninka c’est seulement le visage : les matériaux utilisés (noix de roucou broyée pour le rouge et genipa et charbon pour le noir) sont cependant les mêmes.
Sont longuement présentées dans l’exposition les matières premières qui constituent la base du mode de vie autochtone, notamment le manioc et les plantes utilisées pour la vannerie et la teinture. Sur ce point, la scénographie reste classique, avec des vitrines et des vidéos, mais on note l’usage du tulle en façade des vitrines, un choix revendiqué par la commissaire pour plus de proximité avec les objets exposés. L’ensemble du parcours joue sur la proximité en organisant une circulation fluide sans trop de parois de séparation ni bifurcations, pour « montrer que tous les thèmes abordés sont reliés entre eux », souligne la commissaire.

L’univers mental des populations autochtones se révèle dans les mythes d’origine de chaque village, illustrés par des animations projetées dans des salles latérales. Contrairement à l’ensemble du parcours, le code couleur ici est le rouge ocre, indiquant que « c’est la parole des populations indigènes qui est présentée ». Concernant les rites et les croyances, « Amazonies » alterne costumes traditionnels, coiffes en plumes (collectées ou acquises avant la loi de 2015 sur la biodiversité) et vidéos tournées récemment. Si les plus jeunes continuent de participer aux cérémonies, les documents montrent l’équilibre délicat entre mode de vie moderne (smartphones, vêtements occidentaux, objets en plastique) et maintien des traditions, y compris par la collaboration avec des musées. Plusieurs des référents autochtones de l’exposition combinent d’ailleurs ces deux aspects dans leur vie : Shatsi Piyako (population Asháninka) est ainsi chercheuse universitaire et conseillère d’une association locale, tandis que le chef Bepkamrek Kayapo (Mebêngôkre) est un infirmier en formation. Les témoignages audio montrent bien l’importance pour ces populations de conserver leur culture et de la transmettre, malgré les difficultés qu’elles ont à subir (racisme, précarité économique, déforestation, prospection pétrolière). Il manque peut-être des précisions sur les langues autochtones, mais les nombreux documents audio permettent aux visiteurs de se faire une idée de l’univers sonore de l’Amazonie, où l’oral prime sur l’écrit.
Finalement, l’exposition réussit à donner une vision de l’Amazonie proche de l’humain, et plus sensible que les expositions ethnologiques habituelles. Cela s’illustre particulièrement dans les photographies, signées Serge Guiraud, qui montrent une grande proximité avec les habitants des villages, voire une complicité avec certains enfants et adolescents, comme un regard intérieur sur cet univers.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°657 du 6 juin 2025, avec le titre suivant : « Amazonies », ou le point de vue des autochtones