Art contemporain

ARTS AMÉRINDIENS / EXPOLOGIE

« Amazônia » élude le lien entre tradition et contemporain

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 21 octobre 2025 - 808 mots

L’exposition du Quai Branly privilégie les créations contemporaines autochtones aux collections ethnographiques historiques, et entretient un certain flou contextuel

Denilson Baniwa, Sans titre, série des chasseurs des fictions coloniales, 2021,  collage numérique. © Denilson Baniwa  & Figurine anthropomorphe représentant une femme, argile, 23 x 6 x 4 cm. © Musée du quai Branly - Jacques Chirac / Pauline Guyon
Denilson Baniwa, Sans titre, série des chasseurs des fictions coloniales, 2021, collage numérique / Figurine anthropomorphe représentant une femme, argile, 23 x 6 x 4 cm.
© Denilson Baniwa
© Musée du quai Branly - Jacques Chirac / Pauline Guyon

Paris. Sans parler de tendance, force est de constater que l’Amazonie est un sujet récurrent dans les musées. Outre l’exposition « Amazonies » au Musée des Confluences (lire le JdA no 657, 6 juin 2025), on peut citer celle sur l’ayahuasca qui se tenait fin 2023 déjà au Musée du quai Branly (lire le JdA no 623, 15 déc. 2023), ainsi qu’une exposition itinérante de Sebastião Salgado. « Amazônia » revendique une approche éloignée du discours ethnologique : le co-commissaire Leandro Varison affirme vouloir montrer les « autochtones réels » pour contrer les stéréotypes attachés aux populations de l’Amazonie. Sous-titrée « Créations et futurs autochtones », l’exposition comprend nombre d’œuvres d’art récentes, car ses commissaires s’attachent au présent et à l’avenir des populations autochtones.

Dès l’entrée, alternent une installation de coiffes – qui apparaît comme sculpturale – des populations Iný Karajá, des figurines en terre cuite des années 1930 et des vidéos à teneur informationnelle sur l’Amazonie. Cette installation de coiffes montre que « le patrimoine autochtone est encore vivant », explique Leandro Varison, ces coiffes étant encore fabriquées de nos jours. Cependant, les panneaux de salle donnent peu d’éléments chronologiques, et les quelques dates historiques fournies sont disséminées au fil de l’exposition, ainsi dans des extraits d’une série documentaire très intéressante sur l’archéologie de l’Amazonie (2022-2023), qu’aucune frise chronologique ne vient malheureusement compléter.

Des objets sortis des réserves

L’ensemble de l’exposition donne ainsi au spectateur l’impression de flotter dans un temps indéfini, impression renforcée par les œuvres qui traitent de la cosmogonie et des rapports à l’autre en Amazonie. Ces thèmes structurent une partie de l’identité des autochtones, comme l’illustrent les belles peintures de Rember Yahuarcani (né en 1985 à Pebas, Pérou) où oiseaux à longues pattes et crocodiles fantastiques rejouent la création de l’univers. Également, dans les photographies de performance d’Uýra Sodoma (née en 1991 à Santarém, Pará, Brésil), l’artiste apparaît couverte de cendres et de fibres végétales, comme une créature non humaine hantant le paysage.

Si les œuvres se révèlent en général intéressantes, elles dialoguent plus ou moins bien avec les vitrines d’objets traditionnels issus des collections du musée. Céramiques, paniers tressés, objets rituels, masques et bijoux sont présentés de manière classique, dans d’élégantes vitrines en bois clair. Un effort particulier de pédagogie a été fait sur les langues parlées en Amazonie, avec des cartes, des animations numériques et quelques extraits sonores mais aucune œuvre contemporaine. Des artistes et chercheurs autochtones sont venus au musée pour explorer les collections consacrées à l’Amazonie, dont les populations Bororo, « qui ont travaillé sur les objets collectés par Claude Lévi-Strauss », précise le commissaire. Ajoutant : « La plupart des objets de l’exposition n’avaient jamais été exposés et restaient dans les réserves du musée. » Cette attention portée à la place des autochtones dans un musée dénote un changement dans les mentalités, ainsi que le souligne l’artiste et co-commissaire Denilson Baniwa, originaire d’Amazonie brésilienne, selon lequel jusqu’à récemment « une personne d’origine autochtone avait très peu de chances de voir les travaux d’un de ses pairs » dans un musée.

Cependant, le parcours pèche par défaut scénographique : les volumes imposants des salles ne sont pas exploités, et les murs sont laissés blancs : nulle incarnation sensible en dehors des œuvres. Si certaines œuvres font oublier l’absence de décors immersifs dans le parcours, à l’exemple d’une vidéo sur la végétation et l’environnement de l’Amazonie en contexte d’incendies ravageurs (La Fièvre de la jungle, court-métrage de 2022 réalisé parTakuma Kuikuro, membre du peuple Kuikuro, Haut-Xingu, Brésil), d’autres sections paraissent vides et froides, et la fin du parcours baigne dans une ambiance de « white cube » propre aux lieux d’art contemporain. L’exubérance des toiles de Brus Rubio Churay (né en 1984 à Pebas, Pérou) et la beauté des photographies de Iano Mac Yawalapiti, membre du peuple Yawalapiti du Haut-Xingu, accentuent l’esthétisation d’œuvres présentées sur des cimaises blanches, au risque d’effacer leur contenu proprement autochtone. Les spécificités de la peinture corporelle chez les différentes populations auraient ainsi mérité un développement pour compléter les photographies.

Le dialogue avec les objets des collections du musée ne fonctionne donc pas très bien, même si la scénographie de la dernière salle tente de le faciliter à l’aide d’un module central ajouré qui met en valeur les objets traditionnels. Malgré la qualité des œuvres présentées, l’exposition, dépourvue d’une approche historique, peine à lier ces créations aux objets des collections. Cela même si Denilson Baniwa rappelle à ce sujet que « chercher à dater l’art autochtone peut être contre-productif car la frontière entre le passé et le présent reste floue ». Paradoxalement, ses œuvres sont les seules à évoquer l’histoire de l’Amazonie : ses collages numériques détournent avec humour des images de propagande coloniale du début du XXe siècle [voir ill.]. L’exposition illustre donc cette attitude ambiguë par rapport à un discours historique sur les populations d’Amazonie.

Amazônia. Créations et futurs autochtones,
jusqu’au 18 janvier 2026, Musée du quai Branly-Jacques-Chirac, galerie Jardin, 37, quai Branly, 75007 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°663 du 17 octobre 2025, avec le titre suivant : « Amazônia » élude le lien entre tradition et contemporain

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