Cinéma

Jeu de Paume

7 clefs pour comprendre Federico Fellini

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · L'ŒIL

Le 18 novembre 2009 - 1398 mots

Comment enfermer dans une rétrospective muséale l’œuvre protéiforme du « maestro » ? C’est le défi que relève avec panache l’exposition du Jeu de Paume qui ressuscite l’univers onirique et baroque de ce « magicien de la pellicule ». Action !

1. L’ombre de Rimini : « la fabrique à souvenirs »
« Je me suis inventé presque tout : une enfance, une personnalité, des nostalgies, des rêves, des souvenirs. Pour le plaisir de pouvoir les raconter. Raconter me semble l’unique jeu auquel il vaille la peine de jouer. » Si l’œuvre du maestro semble avoir largement puisé dans ses souvenirs à Rimini, c’est, en fait, davantage un fantasme d’enfance et de ville qui s’étale sur la pellicule. Transcendant la médiocrité du quotidien, le cinéaste nimbe ainsi le petit bourg provincial d’un halo de rêve et de poésie pour le métamorphoser en éden peuplé de créatures divines à moitié dénudées.
   
    Ses premiers émois érotiques ont ainsi pour écrin le mythique cinéma « Fulgor », qui passe surtout des films américains, tandis que la plage et ses belles étrangères résonnent comme un appel au rêve et au lointain. Planent cependant sur cette existence grisâtre et étriquée l’ombre omniprésente de l’Église (dont Fellini stigmatisera avec férocité la morale hypocrite) et celle, plus inquiétante encore, du fascisme mussolinien, tout entier résumé par un corps professoral à la servilité rampante…
 
2. Le cirque : « une usine de prodiges »
« J’ai regardé le chapiteau comme une usine de prodiges, un lieu où s’accomplissaient des choses irréalisables pour la majeure partie des hommes. Je veux dire, enfin, que ce type de spectacle fondé sur l’émerveillement, la fantaisie, la grosse plaisanterie, la fable, l’absence de significations intellectuelles est justement le spectacle qui me convient », confiait le cinéaste italien qui, tout au long de son œuvre, rendra hommage à ce monde interlope et anachronique peuplé de saltimbanques et d’artistes vagabonds. Car le regard de Fellini est immensément tendre pour ces créatures pathétiques et légèrement terrifiantes que sont les clowns vêtus d’oripeaux, le sourire figé en grimace sous l’épais maquillage de plâtre.
   
    Dans cette cour des Miracles, une figure se détache, quasi christique : la délicieuse Gelsomina à la jolie frimousse, victime expiatoire incarnée magistralement par l’actrice Giulietta Masina. Sublimée par un noir et blanc impeccable, celle qui fut la muse et l’épouse du cinéaste se hisse au rang d’icône universelle, version féminine du Charlot de Chaplin.
 
3. La femme : « fantasme absolu »
« Felliniennes », sous cette épithète surgissent instantanément des créatures aux formes sensuelles et généreuses qui cristallisent tous les fantasmes du cinéaste. Véritable « Casanova par procuration », le maestro italien semble ainsi dresser l’inventaire improbable de tous les types féminins, de la buraliste à la poitrine fascinante jusqu’à la nymphomane Volpina, en passant par tout un cortège de naines et de géantes qui sont comme la version cauchemardesque de l’éternel féminin.
   
    Sur cet aréopage doté de fesses et de protubérances mammaires phénoménales règne, « en maîtresse », la figure de la prostituée, le contrepoint essentiel et obligatoire de la « mamma » à l’italienne. « On ne peut concevoir l’une sans l’autre. Et tout comme notre mère nous a nourris et habillés, de même, je parle pour notre génération, la putain nous a initiés à la vie sexuelle, avec la même inéluctabilité. Nous sommes tous leurs obligés, nous sommes en dette envers ces femmes qui se sont substituées à nos désirs, à nos espoirs, à nos fantasmes, et les ont transformés en une optique, souvent pauvre et mesquine, mais également fantastique. »

4. La culture populaire : entre rejet et fascination
Même s’il a été admiré par les intellectuels, le cinéma de Fellini puise essentiellement son inspiration dans la culture populaire sous toutes ses formes. Le maestro idolâtrait ainsi les comic strips, ces bandes dessinées destinées à un large public qui mettent en scène des superhéros tel Mandrake, ce « dandy-magicien » qu’incarnera Marcello Mastroianni en personne dans un roman-photo destiné à un numéro spécial du prestigieux magazine Vogue  !
   
    Outre la littérature populaire (à laquelle il rendra un bel hommage dès 1952 dans Le Cheik blanc), Fellini aimait les publicités, dont il n’hésita pas à faire des parodies. On se souvient ainsi de la plantureuse et laiteuse Anita Ekberg vantant, sur une grande affiche, les vertus nourricières du lait dans une scène magique des Tentations du docteur Antonio (1962). Le cinéaste se montrera infiniment plus féroce envers la télévision, dénonçant son mercantilisme et ses excès vulgaires dans Ginger et Fred de 1986, l’un de ses derniers films.
 
5. Les acteurs : « des marionnettes entre les mains du cinéaste-démiurge »
Fellini adorait les acteurs et a fait tourner les plus célèbres de son époque : Anthony Quinn, Terence Stamp, Alain Cuny, Donald Sutherland, Anouk Aimée, Anita Ekberg… Cependant, tous furent traités de manière identique, sortes de pâtes à modeler destinées à incarner les fantasmes du cinéaste. Car ce qui importe à Fellini, c’est davantage une silhouette, un archétype, une « apparition ». Sa manière de travailler ressemble ainsi à celle d’un Hitchcock réduisant certaines de ses actrices au rang de simples marionnettes déclenchant le désir  ! C’est avec le même souci obsessionnel du détail que Fellini construira ses castings, du second rôle au simple figurant.
   
    De cette collection de trognes célèbres ou anonymes ne surgiront que deux figures : Giulietta Masina (voir p. 50) et Marcello Mastroianni (voir p. 53). Ce dernier apparaîtra dans six films du cinéaste, dont deux où il joue son propre rôle. « Il n’est pas vrai que Marcello soit moi, mon double cinématographique, un alter ego… Je lui mets mon chapeau pour donner une piste, une suggestion… », se défendra Federico Fellini. Il n’en demeure pas moins qu’une tendre connivence – amicale comme artistique – liera les deux hommes tout au long de leur vie.
 
6. Le dessin : de la caricature à la psychanalyse
C’est d’abord par le crayon que Fellini exerce ses premiers talents, croquant des caricatures pour des journaux satiriques romains (Marc’Aurelio et Il Travaso). Déjà l’humour et l’observation aiguë font mouche, saisissant en quelques traits nerveux un monde aux allures de grande parade. Soit un univers peuplé de monstres sympathiques et de créatures féminines aux formes plantureuses qui contient, en germes, toutes les obsessions du cinéaste.
   
    Quand le septième art l’accaparera, Federico Fellini n’en délaissera pas pour autant le dessin, qu’il utilisera alors comme élément préparatoire à la construction de ses films. Le cinéaste se promènera ainsi toujours avec des feutres dans la poche, pour croquer une idée qu’il aurait à communiquer à ses collaborateurs. C’est aussi par le biais du dessin que Fellini consignera scrupuleusement ses craintes et ses angoisses dans son magnifique Livre des rêves, deux albums de gouaches flamboyantes qui trahissent l’intérêt du cinéaste pour la psychanalyse.
 
7. La Dolce Vita : l’invention d’une esthétique
Peu de films de Federico Fellini ont exercé une aussi grande fascination que La Dolce Vita et sa mythique scène tournée par Anita Ekberg et Marcello Mastroianni à Rome, devant la fontaine de Trevi. Sa sortie, en 1960, provoquera cependant un tollé du côté des autorités religieuses. Les projections seront même interdites aux catholiques sous peine d’excommunication ! Sans doute le spectacle des turpitudes d’une société romaine épicurienne et désœuvrée choque-t-il la bonne bourgeoisie comme l’Église.
   
    Mais ce qui nous fascine près de cinquante ans plus tard n’est pas tant la radioscopie au vitriol de ce microcosme décadent que la forme nouvelle adoptée par le cinéaste. Agençant le récit en grands blocs autonomes, Fellini libère son imaginaire et explore les territoires inédits de l’onirisme et de l’inconscient. La Dolce Vita est aussi le film où le cinéaste commence à utiliser les ressources du studio, recréant à Cinecittà la luxueuse Via Veneto. Un souci de l’artificiel qui engendrera des chefs-d’œuvre, dont le Casanova de 1976.

Biographie

1920
Naît à Rimini sur la côte adriatique.

1939
Arrive à Rome pour suivre des études de droit.

1954
La Strada est primé au Festival de Venise et reçoit un Oscar deux ans plus tard.

1960
Palme d’or du Festival de Cannes pour La Dolce Vita.

1973
Sortie d’Amarcord, chronique aux accents autobiographiques de la vie à Rimini dans les années 1920-1930.

1993
Décède quelques mois après avoir reçu un Oscar couronnant l’ensemble de sa carrière.

Autour de l’exposition
Informations pratiques. « Fellini, la Grande Parade », jusqu’au 17 janvier 2010. Jeu de Paume (site Concorde), Paris. De mercredi à vendredi de 12 h à 19 h ; le mardi à 21 h. Samedi et dimanche de 10 h à 19 h. Tarifs : 7 et 5 €. www.jeudepaume.org
Fellini dans l’œil de Vezzoli. Deux œuvres de Francesco Vezzoli sont également présentées au Jeu de Paume. Libres interprétations du monde fellinien, elles questionnent le statut paradoxal de l’illusion et de la fiction dans notre perception de la réalité. Une vidéo de la performance réalisée en 2007 autour d’Anita Ekberg est exposée conjointement à un second projet inédit centré sur la relation entre le public et la vérité médiatique.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°619 du 1 décembre 2009, avec le titre suivant : 7 clefs pour comprendre Federico Fellini

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