Biennale - Design

XXIE SIÈCLE/ EXPOLOGIE

Chaumont : une biennale de design à l’accent élitiste

Par Éva Hameau · Le Journal des Arts

Le 24 juin 2025 - 777 mots

La 5e Biennale internationale de design graphique manque singulièrement de lisibilité. En cause : une contextualisation lacunaire et un propos pour le moins ésotérique semblant s’adresser surtout à un public de connaisseurs.

Vue de l'exposition « Noise » au Signe. © Marc Domage
Vue de l'exposition « Noise » au Signe.
© Marc Domage

Chaumont (52). « Face à la disruptivité établie en étendard d’une start-up nation qui n’est autre qu’un ripolinage de structures de contrôles, les perturbations et les dérangements permettent de découvrir de nouvelles trajectoires » (sic), écrit Jean-Michel Géridan dans la section consacrée à l’exposition « Noise » du catalogue de la 5e édition de la Biennale de design graphique. Commissaire de l’exposition et directeur du Signe – le centre national du graphisme, qui organise la Biennale depuis 2017 –, Jean-Michel Géridan ne lésine pas sur les mots soutenus et les références pointues : le texte introductif qu’il signe dans le catalogue, pourtant intitulé « Contexte », s’apparente à un essai sur les « faits alternatifs » et la post-vérité à l’ère de Trump. Le visiteur pourra ainsi méditer sur « la dialectique entre le faux et le vrai » chez saint Thomas d’Aquin, la banalisation de l’athéisme exprimée par les aphorismes de Friedrich Nietzsche, le structuralisme et le post-modernisme.

Ces lignes, aussi intéressantes soient-elles, n’ont aucun rapport avec le design graphique et ne présentent nullement les origines de la Biennale – laquelle s’inscrit dans le prolongement de l’emblématique Festival de l’affiche de Chaumont, créé en 1990, les choix de programmation et les temps forts – pas moins de six expositions, mais aussi des ateliers prennent place dans toute la ville de mai à octobre 2025. Les cimaises du Signe ne sont guère plus bavardes concernant les fonds d’affiches conservés par la ville de Chaumont, lacune d’autant plus dommageable que l’exposition « Noise » (le rapport entre musique et graphisme est le thème de cette 5e édition) présente une affiche de Jules Chéret, issue du fonds d’affiches de la Belle Époque légué par Gustave Dutailly à la Ville en 1905 et des affiches de la collection contemporaine, constituée à partir des acquisitions opérées dans le cadre du Concours international d’affiches depuis 1990.

Jean-Michel Géridan rappelle que le Signe exerce une mission de service public. Le Centre national du graphisme, labellisé « centre d’art contemporain d’intérêt national » en 2020, est effectivement censé, outre ses missions de production, de diffusion et de soutien à la création contemporaine, assurer une « médiation entre le champ artistique du graphisme et les publics ». Mais cette Biennale a-t-elle vraiment été pensée pour un public varié ? Si médiation il y a, celle-ci ne prend en tout cas pas la peine de définir des concepts parfois difficiles à comprendre et des mots relevant du langage spécialisé. Le vocabulaire issu du champ musical est omniprésent dans le livret de l’exposition et dans le catalogue de la Biennale. Le manque d’explications rend le propos indigeste, et, plus grave encore, incompréhensible pour de nombreux visiteurs.

Vue de l'exposition « H5 - Voir la French Touch » à la chapelle des Jésuites de Chaumont. © Marc Domage
Vue de l'exposition « H5 - Voir la French Touch » à la chapelle des Jésuites de Chaumont.
© Marc Domage

« Noise » pousse l’hermétisme encore plus loin. Si la première section met en lumière de façon convaincante des réseaux d’influences insoupçonnées entre des musiciens (et des graphistes) de générations et de styles variés, par le biais des pochettes de vinyle, la suite de l’exposition est pour le moins confuse : revues musicales (Phylactère, Jazzdor, Audimat…) et disques divers (Raymond Scott, Björk Guðmundsdóttir…) abondent sur les cimaises sans hiérarchie ni logique, leur seul point commun étant, comme l’indique la feuille de salle, de « tendre à un propos bruissant, multiple, cherchant noise à la silenciation ». Que penser de cet amas de visuels hétéroclites ? Difficile de trouver un fil conducteur et des correspondances esthétiques significatives entre les couvertures de ces revues. Tous les visuels présentés dans la deuxième partie de l’exposition ne semblent devoir leur présence qu’à leur capacité à illustrer la démonstration du commissaire. Nul autre choix, donc, que de tenter de déchiffrer le texte de salle.

Si les expositions du Signe sont loin d’être des réussites – « Simenon, Simenon » se contente de présenter des rangées de premières et quatrièmes de couverture de livres de poche du père de Jules Maigret édités entre 1950 et 1990, sans évoquer l’évolution de la typographie, du style des illustrations, du rapport texte/image depuis les années 1930 –, les événements organisés à l’Institut du patrimoine haut-marnais (IPHM) retiennent l’attention. L’exposition organisée pour célébrer les 10 ans de l’Atelier national de recherche typographique (3e cycle de l’École nationale supérieure d’art et de design - ENSAD de Nancy) met l’accent sur la diversité des domaines d’application de la recherche typographique : égyptologie, épigraphie médiévale, numismatique, écritures du monde, à travers le programme de recherche sur les écritures manquantes de l’Unicode (qui n’existent pas encore sous forme typographique) ou encore la langue, comme l’illustrent les recherches d’Eugénie Bidaut autour de la typographie post-binaire (dépassant la binarité entre genres masculin et féminin) reposant sur une imbrication des lettres… Une plongée passionnante au cœur d’une discipline méconnue.

Biennale internationale de design graphique,
jusqu’au 19 octobre, Le Signe, 1, place Émile-Goguenheim, 52000 Chaumont.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°658 du 20 juin 2025, avec le titre suivant : Chaumont : une biennale de design à l’accent élitiste

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