Street art

Banksy, dans le piège du droit des marques

Par Stéphanie Lemoine et Éléonore Marcilhac · Le Journal des Arts

Le 29 novembre 2019 - 922 mots

Face aux très nombreuses contrefaçons de son œuvre, le street-artiste Banksy a été contraint de créer sa propre marque, Banksy™, et surtout de l’exploiter commercialement pour la protéger.

Boutique éphémère de Banksy ouverte à Londres début octobre. © Banksy.
Boutique éphémère de Banksy ouverte à Londres début octobre.
© Banksy

Mis en ligne par Banksy en octobre dernier, le site Internet Gross Domestic Product (GDP, traduire par « Produit intérieur brut » et chercher le jeu de mots) s’offre à première vue comme une banale boutique en ligne. Les fans du street-artiste anglais y trouveront l’arsenal habituel des produits dérivés, du mug au tee-shirt, plus quelques goodies moins convenus : un mobile pour bébés braquant sur un berceau des caméras de vidéosurveillance, une boule à facettes logée dans un casque de policier, et même une pierre tombale précisant, à la façon d’un GPS, que son propriétaire a « atteint sa destination ». S’y charrie l’humour corrosif de Banksy, sa critique du consumérisme (nombre d’articles, aux prix très accessibles, sont issus de produits de seconde main et fabriqués artisanalement), et son engagement politique – le site précise d’ailleurs que le produit des ventes sera reversé à une association de sauvetage des migrants en Méditerranée. Mais pour qui est rompu à son univers, certains éléments détonnent. À commencer par l’omniprésence sur GDP du symbole « TM », systématiquement associé au nom de Banksy. Après avoir tourné en dérision le copyright, et même encouragé la reproduction de ses œuvres sur l’onglet shop de son site Internet, ce dernier serait donc officiellement devenu une marque.

Banksy, une marque malgré lui

À bien des égards, il l’était déjà : son Walled Off Hotel à Bethléem compte une boutique cadeaux, tout comme en 2015 son éphémère parc d’attractions, Dismaland. Surtout, ses coups d’éclat médiatiques, sa popularité et ses records en salles des ventes ont valu à certains de ses pochoirs de très lucratives contrefaçons. Fataliste, l’artiste a d’abord laissé faire – question de cohérence. Avant de contre-attaquer : fin 2018, la société Pest Control Office Limited, gestionnaire de ses droits, engageait des poursuites contre le Mudec, à Milan, dont la boutique proposait à la vente des produits dérivés reproduisant ses œuvres dans le cadre de l’exposition « The Art of Banksy. A visual Protest » – le tout sans son consentement. En mars 2019, elle devait aussi faire face à une procédure engagée par l’éditeur anglais de cartes postales Full Colour Black. Rompue à la reproduction de certains pochoirs iconiques de Banksy, la société demandait l’invalidation des marques déposées par Pest Control Office Limited en 2014 pour une vingtaine d’œuvres, dont le Le Lanceur de fleurs et La Petite Fille au ballon rouge. Motif invoqué : la déchéance de ses droits car, selon cette société, ces marques n’avaient fait l’objet d’aucune exploitation commerciale, comme le requiert pourtant la loi.

Droit des marques vs droit d’auteur

Le lancement du site GDP est consécutif à cette offensive : « Cette boutique est née d’une action en justice, a publiquement expliqué l’artiste. Un éditeur de cartes postales essaie de s’approprier légalement le nom de Banksy, à qui on a conseillé, pour empêcher cela, de vendre sa propre gamme de produits, sous sa marque. »

Pourquoi ce conseil, alors que le droit d’auteur offrait une protection suffisante en matière de contrefaçon, y compris pour les œuvres créées sans autorisation dans l’espace public, et que la licence Creative Commons aurait permis à Banksy de discriminer reproductions gratuites et commerciales de ses œuvres ? Parce que toute action juridique en matière de propriété intellectuelle l’aurait contraint à dévoiler son identité patronymique, et donc à dissiper un mystère qui n’est sans doute pas étranger à son aura. Du reste, le litige lui offre une nouvelle occasion d’afficher sa position sur la spéculation qui entoure son œuvre, dans une mise en scène aux allures de performance artistique.

Quand la contre-offensive devient performance

La dernière contre-attaque de Banksy s’inscrit, en effet, dans le droit-fil d’une fronde menée depuis une dizaine d’années contre le second marché de l’art et le marché tout court – fronde qui avait conduit, en octobre 2018, à l’autodestruction partielle d’une de ses œuvres, La Petite Fille au ballon rouge, en pleine adjudication chez Sotheby’s. À cet égard, GDP s’annonce d’emblée comme une expérience décevante – surtout, précise le site Internet, pour ceux qui auront eu la chance d’y acheter quelque chose. De fait, l’artiste anglais semble avoir multiplié les précautions pour éviter que les produits vendus sous sa marque n’achèvent leur course sur eBay, avec la plus-value de rigueur. Tout candidat à l’acquisition d’un produit sur GDP était donc invité à s’inscrire sur le site avant le 28 octobre. Il devait ensuite se soumettre à un questionnaire, et répondre notamment à cette question : Est-ce que l’art compte ? En fonction de l’originalité et la pertinence des réponses, les quelques articles disponibles en ligne seront envoyés à leur destinataire dans des délais très incertains, et à raison d’un seul par acquéreur. « Pour vendre des objets à des gens qui les veulent, plutôt qu’à ceux qui veulent en tirer profit, GDP se réserve le droit de refuser une vente et de rembourser (si c’est possible) toute personne faisant la publicité de l’article en vente avant sa réception”, précise le site. En guise d’ultime pied de nez à la spéculation, Banksy annonce aussi la création prochaine de bBay, son propre site d’enchères, présenté comme « votre premier choix pour vendre sur le second marché les œuvres d’un artiste de troisième catégorie ». Quant à ceux qui voudraient utiliser ses créations « à des fins d’amusement, d’activisme ou d’éducation », ils sont invités à télécharger une version du Le Lanceur de fleurs en haute définition. En toute gratuité et sans obligations légales, il va sans dire.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°534 du 29 novembre 2019, avec le titre suivant : Banksy, dans le piège du droit des marques

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