Italie - Tourisme - Unesco

Venise instaure un péage pour limiter le tourisme de masse

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 22 septembre 2023 - 880 mots

VENISE / ITALIE

Dès le printemps prochain sera installé un système de billetterie pour gérer le flux trop important de visiteurs. Ses détracteurs pointent un mode de contrôle aléatoire et donc peu efficace.

Foule de touristes sur la Riva degli Schiavoni à Venise. © Jean-Pierre Dalbéra, août 2007, CC BY 2.0
Foule de touristes sur la Riva degli Schiavoni à Venise.

Venise. Nouveau sursis pour Venise. Le surtourisme et le réchauffement climatique ne semblent pas si menaçants pour l’avenir de la cité lacustre. Ainsi en a décidé le Comité du patrimoine mondial de l’Unesco réuni à Ryad. La ville ne sera pas inscrite au patrimoine mondial en péril, comme l’avait pourtant recommandé l’agence onusienne cet été. Le ministre italien de la Culture, Gennaro Sangiuliano, s’est empressé de saluer « une victoire de l’Italie et du bon sens » oubliant que son pays est régulièrement pointé du doigt pour les mesures insuffisantes prises pour lutter contre la détérioration du site. L’Unesco demande au gouvernement italien d’« inviter une mission consultative du Centre du patrimoine mondial [...] et de soumettre un rapport au 1er février 2024, pour que l’état de conservation de Venise soit à nouveau examiné l’été prochain ».

La municipalité pourra présenter les premiers résultats de son système de billetterie pour réguler les flux touristiques. Elle a annoncé sa mise en place au début du mois dans l’espoir d’éviter l’inscription sur la liste du patrimoine en péril qui aurait nui à sa réputation. Évoqué depuis des années, le paiement d’un droit d’entrée pour accéder au centre historique de Venise sera donc demandé aux touristes journaliers en 2024. Son prix a été fixé à 5 euros. Il sera requis 30 jours par an, ceux au cours desquels le flux de visiteurs est très important, selon un calendrier qui sera bientôt fixé. Sans surprise, cela concernera notamment les week-ends prolongés du printemps et ceux particulièrement fréquentés de juin et juillet. Les touristes quotidiens – ils sont en moyenne 10 000 à affluer sur la lagune – devront vérifier leur date de visite et enregistrer leur réservation pour recevoir un billet sous forme d’un QR code. Les contrevenants s’exposent à une amende allant de 50 à 300 euros.

Contrôles aléatoires

« Le site Internet pour payer ce billet d’entrée est presque prêt, explique Michele Zuin, adjoint au maire de Venise en charge du budget. La mesure sera plus simple qu’on ne le pense. Notre but n’est pas de faire de l’argent. Bien au contraire puisque la mise en place du système de billetterie nous coûtera plus cher que ce qu’il rapportera. Mais, avec un excédent budgétaire de 50 millions d’euros, nous pouvons nous le permettre. Après la période d’essai, il entrera en vigueur en 2025. Les sommes que nous récolterons avec ce système seront dévolues à une baisse des impôts des Vénitiens ou à la préservation du patrimoine. Ce billet d’entrée est la première mesure concrète depuis quarante ans pour réduire le tourisme de masse. »

Concrète mais inefficace pour ses détracteurs qui pointent les nombreuses exceptions dont la liste ne cesse de s’allonger : les résidents de la région Vénétie ainsi que leurs proches parents, les étudiants, les enfants de moins de 14 ans, les personnes nécessitant des soins ou encore les touristes qui passent la nuit sur place. Les contrôles qui vérifieront que le visiteur journalier s’est bien acquitté de son droit d’entrée seront réalisés au hasard. Une goutte d’eau dans l’océan de 25 à 30 millions de touristes qui la submergent chaque année.

Un casse-tête logistique

Cette mesure n’est pas seulement concrète ou inefficace selon qu’on l’approuve ou qu’on la décrie. Elle est aussi « honteuse d’un point de vue moral en réclamant de l’argent pour entrer dans la ville », selon le philosophe Massimo Cacciari qui en a été le maire à deux reprises de 1993 à 2000 et de 2005 à 2010. C’est surtout inapplicable d’un point de vue logistique. Une véritable idiotie pour faire croire que la municipalité fait quelque chose pour protéger Venise. » Dans le même temps, son action sur le marché immobilier est pratiquement inexistante. « Samedi 9 septembre, le nombre de lits touristiques a officiellement dépassé celui des résidents de Venise, déplore Rémi Wacogne, membre de l’association OCIO, qui suit les pressions du tourisme sur l’habitat vénitien. C’est un basculement historique qui entérine un point de non-retour dans une ville asphyxiée par ses visiteurs. Le maire ne met aucun frein ni à l’ouverture de nouveaux hôtels ni à l’expansion des lits dans les meublés touristiques qui ont doublé depuis 2016. Son billet d’entrée pour visiter la ville est de la poudre aux yeux qui ne convainc que quelques hôteliers ravis qu’on incite des touristes à passer la nuit à Venise. Il faudrait adopter des mesures drastiques que personne n’a la volonté ou le courage de prendre. »

Tous les Vénitiens résidant encore dans la lagune, dont le nombre est passé sous le seuil symbolique des 50 000, ne se résignent pas à voir sombrer leurs espoirs d’un changement. Plus de 4 000 d’entre eux ont déjà signé une pétition pour que leur ville soit déclarée patrimoine en péril. Elle a été envoyée à la présidente de l’Unesco, Audrey Azoulay. Leur inquiétude fait écho à celle des experts de l’organisation internationale qui estiment que « les impacts du changement climatique et le tourisme de masse » menacent de « causer des changements irréversibles à la valeur universelle exceptionnelle de Venise ». Ils n’ont pour l’instant reçu que des réponses insuffisantes. Celle d’un ticket d’entrée risque bien de se montrer insignifiante.

Des touristes sur le pont Rialto à Venise, le 31 juillet 2019  © Photo Ludovic Sanejouand
Des touristes sur le pont Rialto à Venise, le 31 juillet 2019.
© Photo Ludovic Sanejouand

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°617 du 22 septembre 2023, avec le titre suivant : Venise instaure un péage pour limiter le tourisme de masse

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