La capitale catalane entend miser sur la culture pour attirer un tourisme plus « qualitatif ». Mais sa stratégie peine pour l’instant à prendre forme.

Barcelone (Espagne). Les mois d’été amènent leur lot de touristes dans la capitale catalane. Les rues sont bondées, les plages couvertes de parasols, les terrasses surpeuplées. Il reste toutefois un endroit où le promeneur peut respirer sans faire la queue : les musées. Une anomalie, dans cette ville où l’on dépasse des records d’affluence chaque année. Mais les chiffres sont là : en 2024, les 21 principaux musées de Barcelone ont accueilli un peu moins de 5 millions de visiteurs, selon les chiffres de l’Observatoire des données culturelles de Barcelone, dont environ 3 millions de touristes, soit moins d’un quart de leur total estimé à 15,5 millions.
En apparence dynamique (une cinquantaine de lieux), l’offre muséale barcelonaise souffre d’un certain morcellement. Peu de grandes institutions de référence, une majorité de petits musées privés ou municipaux aux moyens limités, et un manque d’ambition muséographique dans les projets récents. Contrairement à Paris, où les musées nationaux jouent un rôle structurant, ou même à Marseille – qui la talonne en matière de nombre d’habitants et est dotée de quelques établissements à rayonnement international, parmi lesquels le Mucem –, Barcelone peine à s’imposer sur la scène muséale européenne.
Parmi les grands musées de la ville, le Musée national d’art de Catalogne reste centré sur les collections régionales, tandis que le Musée d’art contemporain (Macba) est en quête de repositionnement : aucun ne fait aujourd’hui autorité dans le champ de l’art contemporain international. « L’offre culturelle est bonne mais n’est pas de premier plan : ce n’est pas le facteur moteur d’attraction pour les touristes. En ce qui concerne les établissements muséaux, nous ne sommes pas au niveau des capitales que sont Madrid, Berlin ou Paris », analyse Eugeni Osácar, professeur à l’école de tourisme barcelonaise CETT. « Vous ne verrez jamais ici une expo type “Véronèse” [actuellement montrée au Prado de Madrid, ndlr]. C’est aussi parce que ce n’est pas une capitale. »
Pendant ce temps, le tourisme qui domine dans la cité comtale est encore et toujours celui de la fête, avec par exemple ses très (trop ?) nombreux enterrements de vie de jeune fille et garçon venus des quatre coins d’Europe. Une forme de tourisme de masse bon marché qui laisse des traces visibles sur l’espace public : nuisances sonores nocturnes, dégradations matérielles, transports bondés, conflits d’usage sur les plages et dans les quartiers centraux. Surtout, ce type de public se concentre dans le centre-ville et les espaces déjà très fréquentés comme le quartier gothique ou le park Güell, créant un surtourisme, lequel ne se définit pas par « le nombre de vacanciers mais par combien d’entre eux vont au même endroit au même moment », précise Eugeni Osácar.
La capitale catalane n’est pas la seule à souffrir de ce problème et tenter de redéfinir son profil touristique. À Amsterdam, la municipalité diffuse des publicités sommant les fêtards à ne pas venir et elle a instauré des quotas pour les locations hôtelières. Venise, de son côté, a mis en place un système de réservation payante à l’entrée de la ville – avec il est vrai un succès limité. Comme ces deux métropoles européennes, Barcelone cherche son équilibre. Elle qui génère 14 % de son PIB grâce au tourisme ne peut pas nécessairement lever le pied sur le secteur, mais elle doit très certainement se réorganiser si elle ne veut pas devenir – encore davantage – victime de son succès.
Se réorganiser, c’est justement l’objectif de la Ville, qui souhaite passer de capitale de la fête à capitale culturelle. « On ne veut pas plus de touristes, mais des meilleurs », déclarait Mateu Hernández, directeur général du Consortium du tourisme (de statut public-privé) de Barcelone en décembre 2024 lors de la présentation du programme touristique pour 2025. Parmi les projets visant à développer un « meilleur tourisme », le programme « Barcelona Art Season » a particulièrement été mis en avant. Il est censé promouvoir une coordination entre les musées pour attirer des expositions « premium ».
Pour Maixaixa Taulé, directrice du Musée égyptien de Barcelone, présente lors de la conférence, le jour de cette annonce est à marquer d’une pierre blanche : « Il y a un changement de paradigme important : la culture a toujours essayé d’attirer le tourisme, et maintenant c’est le tourisme qui va chercher la culture. » L’objectif, à terme, est de faire de l’offre muséale un levier de repositionnement touristique, à l’image de ce qu’ont pu faire Bilbao avec le Musée Guggenheim ou Málaga avec ses antennes du Centre Pompidou et du Musée russe. Mais reproduire ces modèles dans la capitale catalane ne sera pas si simple. « Pour moi, la relation de cause à effet entre le tourisme culturel et le tourisme de qualité ne fait pas sens, nuance Eugeni Osácar. Et malgré ce programme, je ne crois pas que le tourisme culturel de musées puisse croître. » Maixaixa Taulé est, elle, plus enthousiaste, estimant que cette alliance tourisme/culture permettra d’attirer « un tourisme différent de celui de la plage et de la fête. On plaira à un tourisme culturel, qui veut venir ici pour amplifier sa relation au monde ».
Mais hormis cette conférence d’annonce du « Barcelona Art Season » et une présence symbolique à la foire d’art contemporain Arco 2025 à Madrid, aucune mesure concrète n’a pour le moment vu le jour. Face aux critiques, la directrice du Musée égyptien rappelle que Rome ne s’est pas faite un jour, et Barcelone non plus : « Tout ça prend du temps, on ne peut pas tout transformer d’un coup. Actuellement, nous faisons tout pour que ces changements se réalisent. Mais on ne peut pas tout changer en six mois. »
Il y a par ailleurs un autre obstacle à la transformation de Barcelone en ville de patrimoine muséal : son identité même. Pour Eugeni Osácar, « ici le facteur moteur est plutôt le patrimoine architectural, qui est un des meilleurs du monde. Le modernisme en fait un véritable musée à ciel ouvert. Si on y ajoute le climat, c’est le paradis de ceux qui aiment se balader, c’est d’ailleurs pour ça que les gens sont très nombreux dans la rue et moins dans les musées ».
Un surtourisme devenu insupportable
SOCIÉTÉ. À l’instar d’autres grandes villes européennes, Barcelone subit de plein fouet le surtourisme. Ce mot, inventé par les médias pour définir la trop forte concentration de touristes dans des zones précises, est utilisé pour décrire l’atmosphère étouffante dont souffrent certains lieux d’une ville. À Barcelone, qui a accueilli plus de 15 millions de visiteurs en 2024 pour 1,6 million d’habitants, le phénomène est particulièrement visible dans des quartiers comme le Gòtic ou la Barceloneta. Cette pression engendre une exaspération croissante de la part des riverains, qui manifestent de plus en plus leur agacement, notamment en aspergeant les touristes à coup de pistolet à eau ou en bloquant les bus. La municipalité multiplie les mesures pour limiter l’afflux : interdiction des logements touristiques type Airbnb d’ici à 2029, fin des tournées des bars organisées, ou encore interdiction de la vente de produits à base de cannabis. Objectif : faire fuir un tourisme jugé nuisible. Mais les effets restent jusqu’ici limités et la fréquentation touristique continue d’augmenter. Barcelone figure même désormais sur plusieurs listes de villes à éviter en haute saison.
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Sortir de la fête : Barcelone rêve d’un tourisme plus cultivé
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°659 du 4 juillet 2025, avec le titre suivant : Sortir de la fête : Barcelone rêve d’un tourisme plus cultivé









