Environnement

TRANSITION ÉCOLOGIQUE

Un rapport suggère cinq axes de transition écologique dans la culture

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 11 mars 2022 - 967 mots

FRANCE

Le think tank Shift Projet énumère plusieurs propositions visant à diminuer l’empreinte carbone des arts visuels.

Un rapport, « Décarbonons la culture », publié fin novembre 2021 et disponible sur le site Internet du Shift Project, pointe la vulnérabilité des institutions culturelles hexagonales face aux chocs énergétiques et climatiques qui s’annoncent. « Des centaines de milliers d’emplois sont en danger », souligne ce document fruit d’une centaine d’entretiens menés auprès de professionnels du secteur culturel pour évaluer les émissions de ses activités. Le Shift Project, un think tank œuvrant pour libérer l’économie de la contrainte carbone, appelle les décideurs à anticiper l’inéluctable disparition des activités carbonées.

Une véritable gageure pour un secteur qui se montrait, jusque-là, peu concerné par ces sujets. « Pourtant, insistent les auteurs, lorsqu’on regarde les données physiques, la culture, comme l’ensemble de nos activités, consomme beaucoup d’énergie pour s’alimenter, se chauffer, s’éclairer, se déplacer. »

Observatoire de la transition écologique

Ce peu d’empressement à se mobiliser et le retard pris tiennent en partie à l’inaction du ministère de la Culture incapable de dessiner des politiques publiques ambitieuses et de financer la décarbonation afin de conduire la transformation du secteur, poursuit le rapport qui invite les autorités à mettre en place un Observatoire de la transition écologique pour évaluer et conduire le changement. Le budget 2022 du ministère témoigne de cette carence, lui qui alloue une portion congrue au soutien à la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) – enjeux environnementaux, mais aussi sociaux et sociétaux –, soit 0,45 % d’une enveloppe totale dépassant les 4 milliards d’euros. « Nous sommes loin d’une prise de conscience des enjeux tant au niveau de la ministre que de son cabinet. Nous n’entendons aucun discours annonciateur d’une amorce de transition écologique », déplore Anaïs Roesch, copilote du secteur des arts visuels au sein du Shift Project. Les principaux freins à la transition écologique tiendraient, selon elle, aux mentalités, notamment à la difficulté « d’imposer des limites au génie créateur des artistes ». Mais aussi au manque de connaissances et de maîtrise de ces sujets chez les décideurs et acteurs culturels qu’il importe de toute urgence de former aux enjeux énergie-climat. Celle-ci pointe aussi la nécessité d’essaimer, dans les institutions culturelles, les postes de chargés de la stratégie et autres conseillers Développement durable (DD) et Responsabilité sociétale des organisations (RSO) et des entreprises (RSE).

Dans un monde de l’art globalisé marqué par une course effrénée à la création d’événements internationaux (explosion des expositions blockbuster, des biennales et des foires d’art), la source majeure d’émissions de gaz à effet de serre est l’hypermobilité des collectionneurs, peu enclins à changer de comportement, et surtout des visiteurs. Le Musée du Louvre a calculé, en 2009, lors de la mise en place de son premier bilan carbone, que 98 % de ses émissions de gaz à effet de serre étaient liées au déplacement des visiteurs. L’agence londonienne Julie’s Bicycle (rapport « The art of Zero », 2021), a déterminé, de son côté, que 74 % des émissions au niveau international seraient dues aux déplacements des visiteurs, et 26 % aux bâtiments, au fret d’œuvres d’art et aux voyages d’affaires.

Cinq dynamiques de transformation

Le rapport propose cinq grandes dynamiques de transformation. Il invite les acteurs à relocaliser leurs activités, notamment en raccourcissant les distances parcourues, à ralentir en allongeant les durées de déplacement de manière à réduire leur fréquence, à diminuer les échelles en abaissant les jauges des événements culturels. Des préconisations peu prises en compte par le marché de l’art, pointe Anaïs Roesch, dans un moment où « les acteurs n’ont ni le temps, ni les moyens de réfléchir à leur propre modèle ». Il s’agit aussi d’éco-concevoir les créations d’œuvres et scénographies et de… renoncer. Ce qui peut se traduire, côté arts visuels, par la décision de ne plus recourir aux formats d’exposition XXL, à exclure les matériaux les plus polluants comme les moquettes et les films polyane utilisés pour les protéger avant l’ouverture des expositions. Et à renoncer aussi, quand ils ne s’avèrent pas indispensables, au recours à des dispositifs de transport ultrasécurisés et très polluants. En 2009, les convoyeurs mandatés par la Réunion des musées nationaux-Grand Paris pour s’assurer de la sûreté et de la sécurité des œuvres transportées auraient parcouru à eux seuls trente et une fois le tour de la Terre ! D’où l’idée de privilégier un accompagnement via un support numérique.

Le Shift Project a élaboré également des recommandations transversales, applicables à tous les secteurs de la culture, du monde du cinéma à celui du spectacle vivant en passant par le livre et l’édition, et d’autres propres au secteur des arts plastiques. Ici aussi, l’accent est mis sur le volet de la mobilité qui génère le plus de gaz à effet de serre. En proposant notamment d’équiper les abords des établissements culturels d’arceaux à vélos et de pistes cyclables, et en incitant les visiteurs à recourir à des véhicules électriques ou à des transports publics grâce à des tickets de transports couplés avec le ticket d’entrée, ou encore en prévoyant une réduction du prix du ticket d’entrée pour le visiteur qui apportera la preuve qu’il a utilisé un mode doux de déplacement. Les auteurs suggèrent également de grouper les transports d’œuvres et de demander systématiquement un « devis carbone » aux professionnels afin de proposer des modes d’acheminement et d’emballage moins polluants. Autre idée : mutualiser les scénographies des expositions chaque fois que cela est possible. C’est à cette tâche que s’est attelé le Musée des beaux-arts de Saint-Étienne qui, en misant sur le remploi, a utilisé une seule et même commande de bois pour la scénographie de treize de ses expositions.

« Je suis optimiste quand j’observe ce qui se passe en ce moment », conclut Anaïs Roesch qui prépare un nouveau rapport centré sur les arts visuels attendu pour la fin 2022. Pour elle, l’innovation viendra d’une forme de radicalité, d’un indispensable questionnement de nos modèles.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : Un rapport suggère cinq axes de transition écologique dans la culture

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