Environnement - Exposition

Décarboner les arts visuels

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 2 mars 2022 - 1051 mots

LILLE

Au cours du colloque organisé les 27 et 28 janvier par le Palais de beaux-arts de Lille, les participants ont appelé à des expositions plus écoresponsables.

Lille. L’objectif de ce workshop organisé deux mois après la publication du rapport « Décarbonons la culture » à l’initiative de Shift Project, un think tank œuvrant pour libérer l’économie de la contrainte carbone ? Partager les expériences, susciter la discussion et le débat dans le but d’éclairer les pratiques et d’enrichir les capacités d’action. Une cinquantaine d’intervenants ont pris la parole au cours de six tables rondes et plusieurs focus en mettant l’accent sur l’environnement et l’inclusion.

« Les expositions ne doivent pas être une démonstration de puissance mais d’intelligence », a insisté Sylvain Amic, le directeur de la Réunion des musées métropolitains Rouen Normandie, en appelant ses confrères et consœurs à sortir du modèle du musée triomphant pour revenir aux origines : le « musée utile ». Il est urgent de changer de paradigme. Les intervenants de la première table ronde réunissant des directeurs d’institution en étaient tous convaincus. Urgent de sortir d’un modèle de croissance infini rimant avec extension des surfaces muséales, multiplication des expositions temporaires qui attirent de plus en plus de visiteurs se déplaçant à grand renfort de transports dispendieux en gaz à effet de serre. « Cette course folle nous interroge », a souligné Emmanuel Marcovitch, en évoquant un syndrome de fuite en avant. « Il faut changer complètement de modèle d’exposition. Tout repenser (scénographies, surfaces d’exposition, médiation) dans une logique de développement durable », a poursuivi le directeur général délégué de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais tout en mettant l’accent sur la nécessité d’une désescalade. Il faut relocaliser les activités, ralentir, diminuer les échelles, éco-concevoir et renoncer, pointe-t-il, citant le rapport du Shift Project.

Mutualiser les bonnes pratiques

« Il importe également de rassembler et de mutualiser les informations, les initiatives, les bonnes pratiques et les solutions qui foisonnent dans les musées mais demeurent encore éparpillées », poursuit Juliette Raoul-Duval, directrice de l’Icom (Conseil international des musées) France, selon laquelle « cette dispersion est préjudiciable à l’efficacité ». Autres pistes : renoncer aux expositions « blockbuster » ; faire circuler les œuvres plutôt que les visiteurs dont les déplacements représentent, pour certains grands musées comme le Louvre, plus de 90 % des émissions de gaz à effet de serre ; encourager les moyens de transport vertueux ; former les directeurs, conservateurs et personnels de musée au développement durable (DD) ; nommer des référents spécialistes de ces questions dans tous les musées et créer des réseaux de « correspondants DD » dans les services des plus grandes institutions… Et s’appuyer le plus possible, au moment de monter une exposition, sur les œuvres des collections permanentes en limitant au maximum l’emprunt de pièces qui nécessitent des transports au long cours. Ce sont quelques-unes des lignes directrices suivies par Bruno Girveau, directeur du Palais des beaux-arts de Lille, et son équipe, pour concevoir « Expérience Goya », une exposition immersive et éco-conçue qui s’est achevée le 14 février. Le nombre d’œuvres exposées a été volontairement limité à 80 au lieu des 150 habituelles environ. Ont été privilégiés les emprunts de pièces en provenance d’Europe du Nord et écartés ceux issus d’outre-Atlantique. « L’exposition a été conçue de manière à être facilement démontable et réutilisable. 60 % des panneaux peuvent être réutilisés », explique le scénographe Maciej Fiszer qui a planché sur le projet.

Bilan carbone

Lors d’une table ronde consacrée à l’approche scénographique, aux leviers et freins de l’éco-production des expositions, Julie Bertrand, directrice des expositions et des publications de Paris Musées, s’est interrogée sur la définition d’une exposition écoresponsable. « Quel doit être son bilan carbone pour être considérée comme telle ? », a-t-elle demandé, elle-même en panne de réponse. Plusieurs intervenants ont insisté sur l’importance de travailler très en amont de façon à intégrer l’écoconception dès le début du processus et de réfléchir de façon transdisciplinaire en adoptant une approche globale. Sylvia Amar, responsable de la production culturelle du MuCEM à Marseille, suggère d’établir des contrats avec les scénographes portant sur trois expositions. Autre son de cloche avec le scénographe Alexis Patras (Cros & Patras) a mis l’accent sur le surcroît de travail engendré par ces expositions éco-conçues, « exigeant moins de matière et plus de complexité », surcroît de travail qui ne serait, selon lui, pas pris en compte lors du règlement des travaux.

Qu’en est-il du bilan carbone et de l’analyse du cycle de vie ? Sont-ils des outils efficaces d’aide à la décision et à la conception ? Le premier d’entre eux, qui permet d’établir une cartographie de tous les flux d’activité d’un établissement, est une sorte de photo prise à un instant T. « Ce n’est pas un outil parfait, mais cela donne un cap pour concevoir le plan d’action carbone afin de diminuer les émissions de gaz à effet de serre », explique Elsa Borromée, conseillère développement durable au Muséum national d’histoire naturelle. Celle-ci insiste sur le caractère « plus robuste », plus complet de l’analyse du cycle de vie qui permet « d’évaluer l’impact d’un projet depuis l’extraction de la matière jusqu’aux transports en passant par la production, l’exploitation ».

Un numérique plus sobre

Les musées se sont numérisés à grande vitesse ces dernières années, avec une accélération depuis deux ans. Ce processus est-il compatible avec les objectifs écologiques ? Guillaume Darcourt, cogérant de l’agence de création Fleur de papier, appelle à sortir de la course à la technologie pour se diriger vers un numérique plus sobre, pérenne et responsable. « Qu’est-ce que vous voulez raconter ?, interroge-t-il, s’adressant aux conservateurs et commissaires d’exposition. La réponse est-elle vraiment le numérique ? » Karl Pineau, directeur du Media Design Lab à l’École de design Nantes Atlantique, auteur de l’étude « Responsabilité numérique et musées françias. Étude des sites Web des 100 musées les plus fréquentés de France », pointe une « course aux formats de plus en plus lourds »… exigeant des réseaux de plus en plus puissants. « Rien ne permet d’affirmer que la consommation d’une expérience en streaming est systématiquement et systémiquement moins énergivore qu’une venue dans un lieu culturel », souligne-t-il avant de conclure que « le numérique n’est pas en soi une solution de décarbonation automatique des activités culturelles », et d’appeler les acteurs à s’appuyer sur « des changements structurels menant à la sobriété et à la réduction des émissions de GES [gaz à effet de serre]».

À noter : Les différentes tables rondes sont disponibles en replay sur la chaîne YouTube PBA Lille : https://pba.lille.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°583 du 18 février 2022, avec le titre suivant : Décarboner les arts visuels

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