Patrimoine

Un patrimoine plus vert(ueux) ?

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 29 août 2025 - 1381 mots

La préoccupation environnementale est l’un des enjeux de la restauration des sites patrimoniaux. Des lois existent pour encadrer les chantiers et les opérateurs ne sont pas en reste pour proposer des alternatives durables.

A priori rien de plus durable que le patrimoine. C’est dans son ADN puisqu’il désigne les biens dont on hérite de ses ancêtres et que l’on transmet aux générations futures. Pourtant la question du développement durable sur les chantiers de restauration a longtemps été un impensé. On le sait, le Code du patrimoine impose d’avoir recours à des matériaux identiques à ceux utilisés lors de la construction et interdit de dénaturer l’apparence des édifices. Rien de plus logique puisque la raison d’être du code est d’assurer la conservation des sites. Or cette philosophie va parfois à l’encontre des injonctions écologiques qui se développent depuis peu. Les monuments protégés bénéficient ainsi à titre exceptionnel d’un régime dérogatoire aux normes actuelles, notamment à l’obligation d’isolation par l’extérieur.

Des interventions sur mesure

« Pour autant, dans certains sites, nous pouvons faire de l’isolation par l’intérieur ; sous réserve, par exemple, que nous n’intervenions pas sur une charpente remarquable », tempère Jean-Philippe Alloin, adjoint à la directrice de la conservation des monuments et des collections du Centre des monuments nationaux (CMN). « Chaque fois que cela est possible nous essayons d’améliorer les performances thermiques du bâtiment. Nous ne remplaçons pas les huisseries si elles sont historiques, mais nous pouvons remplacer des vitrages par d’autres thermiquement plus performants. Nous essayons de faire le maximum de ce qui peut se faire dans la limite des contraintes qui nous sont imposées. »Contrairement à une construction neuve, la restauration limite en effet la marge de manœuvre. Toutefois, bien que les édifices ne soient pas soumis au DPE (Diagnostic de performance énergétique), leurs chantiers doivent tout de même respecter le Code de la commande publique et ses critères environnementaux. Et les établissements tels que le CMN sont aussi soumis au décret tertiaire qui impose de réduire les consommations énergétiques à l’horizon 2050. Une norme qui se matérialise dans le patrimoine par le remplacement systématique des moyens de production énergétique par d’autres moins émissifs.

Changement des mentalités

Cette évolution ne s’explique pas uniquement par le cadre légal, elle traduit aussi un changement de mentalité, une volonté proactive affirmée chez certains acteurs dont le CMN qui en a fait un élément important de sa stratégie. Elle façonne également la politique de la Fondation du patrimoine qui aide les propriétaires à « allier patrimoine, performance énergétique et respect de l’environnement avec des matériaux biosourcés et géosourcés locaux ». L’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (Oppic) est également moteur sur ces enjeux, tout comme la compagnie des Architectes en chef des Monuments historiques qui mettent au point un outil pour mesurer l’impact carbone des chantiers. À Paris, le Grand Palais s’est fortement positionné sur cette problématique. À force d’efforts et d’innovations, le chantier historique qui vient de s’achever a ainsi décroché le prestigieux label « Haute qualité environnementale », un véritable défi pour un tel lieu. « A priori, c’est un label difficilement conciliable avec un monument classé. Il y a des aspects du label qui sont presque inatteignables, comme les volets isolation, la thermie, etc. », confirme Daniel Sancho, le directeur du projet de restauration du Grand Palais. « C’est une démarche assez complexe : il faut que la maîtrise d’œuvre adhère, les entreprises également, et que l’on trouve un partenaire qui nous accompagne dans ces démarches. » Partout où il était possible d’installer des doubles vitrages, cela a ainsi été fait. Il en est de même pour l’isolation : les combles et les locaux techniques ont été recouverts d’épaisses couches isolantes qui n’existaient pas. L’équipe a toutefois essuyé quelques refus de la part de l’architecte en chef. « J’avais proposé d’installer des stores côté sud de l’édifice, car il n’y a rien de plus efficace pour bloquer la chaleur. Cela a été refusé car jugé incompatible avec le caractère patrimonial », confirme l’ingénieur.

Imaginer des solutions vertueuses

Le défi majeur a été la grande nef qui abrite la plus vaste verrière d’Europe avec un volume de 450 000 m3. S’il était impossible de remplacer ses vitres par des doubles vitrages, les équipes ont toutefois pu la rendre moins énergivore en repensant complètement son traitement climatique. « Nous avons décidé de ne pas traiter l’air de la nef, mais de traiter uniquement l’ambiance au ras du sol grâce à une dalle qui envoie du chaud ou du froid par rayonnement. Cette dalle est une vraie performance technique. Lors de ces travaux, nous avons également remplacé l’ancien béton par un béton à faible empreinte carbone. » Les matériaux sont un des enjeux phares de ces chantiers, leur nature, mais aussi leur provenance. Dans la mesure de la compatibilité, les opérateurs favorisent ainsi autant que possible les productions locales. Par exemple, la pierre doit respecter les mêmes caractéristiques que la pierre d’origine : couleur, dureté, etc. La seconde vie des matériaux s’est aussi peu à peu imposée comme un enjeu sur les chantiers. La gestion des déchets, qui se chiffrent parfois en tonnes, est prise en compte dès l’appel d’offres. Au-delà de la problématique du traitement des déchets, se pose aussi de plus en plus la question de leur recyclage et même du réemploi de matériaux inutilisés sur les sites qui hébergent parfois des dépôts lapidaires. « Nous avons mené une expérimentation avec Re’Up, un acteur du réemploi, au domaine national de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) pour recenser tous les matériaux et matériels dont on dispose sur le site afin de capitaliser sur ces ressources disponibles et pouvoir imaginer des possibilités de réemploi au sein du réseau ou à l’extérieur », avance Gaëlle Chériaux, responsable RSO (Responsabilité sociétale des organisations) du CMN.Loin d’être immuable le patrimoine doit donc embrasser des enjeux contemporains, y compris certains que l’on ne soupçonne pas de prime abord. « Le secteur est en train de se structurer sur l’adaptation au changement climatique. Nous devons avoir une vision à long terme sur les changements inévitables qui vont advenir sur nos sites », plaide Gaëlle Chériaux. Le CMN a par exemple participé au programme européen « Forteresse résiliente » qui se penche, entre autres, sur la formule de nouveaux enduits plus adaptés au changement climatique pour garantir la pérennité des forteresses, tandis que le chantier du château d’If, à Marseille, prend en compte l’augmentation du niveau de la mer pour les travaux portant sur son ponton. Autre exemple concret : la récente restauration des étangs de Ville-d’Avray (Hauts-de-Seine), qui font office de barrage, intègre comme scénario l’hypothèse d’une crue tricentennale, alors que la loi n’oblige le CMN qu’à tabler sur une crue centennale.

Préserver la biodiversité

L’environnement est indissociable de nombre de monuments. Quiconque a déjà eu la chance de s’aventurer sous la charpente d’un château le sait : il y a souvent de discrets habitants à poils ou à plumes. « Nous sommes confrontés à l’environnement sur quasiment tous nos monuments de façon plus ou moins poussée », confirme Jean-Philippe Alloin. « S’il s’agit d’espèces protégées, nous avons des obligations de maintien des habitats. Le principe de la loi, c’est éviter, réduire, compenser. C’est-à-dire éviter les impacts, si on n’y arrive pas, dans un second temps, on essaie de les réduire et, enfin, si vraiment on n’arrive pas à mettre en œuvre les deux premières solutions, on compense. Par exemple, si on doit détruire une zone de nidification de chauves-souris, nous devons compenser en restituant un nichoir et vérifier qu’il est bien utilisé. » Des nichoirs ont ainsi été aménagés pour les chiroptères sur le site antique d’Ensérune (Hérault), tandis que d’autres ont été installés dans les murs du logis royal du château d’Angers, pour les martinets et les faucons crécelles. Enfin, les geckos du château d’If ont été capturés et une centaine de gîtes artificiels a été installée dans les remparts. Loin d’être anecdotique, la préoccupation environnementale se manifeste chez nombre d’acteurs institutionnels, comme la Fondation du patrimoine qui a lancé un programme « Patrimoine naturel et biodiversité ». Car le patrimoine, ce n’est pas que les vieilles pierres, mais aussi des éléments naturels remarquables. « Nous prenons également en compte les enjeux de biodiversité pour l’entretien des espaces verts et des chantiers de restauration du patrimoine végétal », précise Gaëlle Chériaux. « Nous réfléchissons, par exemple, à quelles essences d’arbres planter pour favoriser une certaine diversité végétale, tout en respectant la dimension patrimoniale d’un site. »

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°788 du 1 septembre 2025, avec le titre suivant : Un patrimoine plus vert(ueux) ?

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