Patrimoine

Journées du patrimoine, nos coups de cœur

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 29 août 2025 - 1470 mots

Les 20 et 21 septembre, les Journées européennes du patrimoine sont l’occasion de découvrir des lieux insolites mais aussi de visiter des pépites d’ordinaire inaccessibles au quidam. Petite sélection, évidemment subjective.

Coupole du lycée Jean Monnet de Montrouge. © Vincent Evrat / Ville de Montrouge
Coupole du lycée Jean Monnet de Montrouge.
© Vincent Evrat / Ville de Montrouge

Qu’est-ce que le patrimoine en 2025 ? Dans les années 1960, André Malraux le désignait, selon une fameuse formule, comme les biens allant « de la cathédrale à la petite cuillère ». Sans doute, l’ancien ministre de la Culture serait surpris de voir que sa boutade l’a dépassé et que des patrimoines hier inenvisageables – barre HLM, centrale électrique – sont désormais protégés avec la même solennité que des édifices insignes.

Fascination du pouvoir

Chaque année, c’est le même spectacle : le troisième week-end de septembre les amoureux des vieilles pierres et les curieux espérant croiser des politiques de premier plan bravent la foule patientant parfois des heures pour entrer dans le saint des saints : l’Élysée. En marge du palais présidentiel et de l’Assemblée nationale, où il est pratiquement impossible de pénétrer, il existe en réalité de nombreux lieux de pouvoir de proximité aussi méconnus que passionnants. La majorité des hôtels de ville, préfectures, sous-préfectures, mais aussi tribunaux ouvrent exceptionnellement leurs portes lors de cet événement. Ces lieux sont souvent implantés dans des bâtiments prestigieux pourvus de décors remarquables. Le château de Grigny-sur-Rhône, près de Lyon, occupe ainsi un édifice classé qui renferme le plus important ensemble de peintures murales du XVIIe siècle d’Auvergne-Rhône-Alpes. Une pépite ignorée de tous dont les salles remplies de fleurs, brocarts, oiseaux et amours se dévoilent le temps d’un week-end. À Lyon, la résidence du gouverneur militaire permet à ses visiteurs de découvrir l’ancien hôtel particulier du baron Vitta. Ce banquier italien qui avait fait fortune dans le commerce de la soie s’est fait construire, sous le Second Empire, un magnifique palais inspiré de ceux de la Renaissance florentine. Son imposante façade dissimule une élégante cour dotée d’arcades et de fontaines qui évoquent la Toscane. À l’intérieur, le mobilier et les œuvres d’art rassemblés dans les grands salons, toujours utilisés pour des réceptions, rappellent les fastes de l’époque Napoléon III. Dans un autre style, la préfecture du Lot nichée dans l’ancien palais épiscopal de Cahors abrite les toiles d’un enfant du pays, Henri Martin (1860-1943), autour de son escalier d’honneur. Une belle enfilade de salles et salons garnis de riches tentures et de mobilier d’apparat complète la visite. Les édifices administratifs réservent souvent de belles découvertes, à l’image de l’hôtel Brachet à Orléans, aujourd’hui siège du tribunal. Le bâtiment élevé à la toute fin du Moyen-Âge conserve l’un des plus beaux escaliers gothiques flamboyants de France. Le patrimoine judiciaire constitue d’ailleurs un réservoir insoupçonné de sites plus surprenants les uns que les autres. Les Journées européennes du patrimoine (JEP) sont souvent la seule opportunité de franchir le seuil de ces institutions d’habitude fermées aux visiteurs et de se familiariser avec leur fonctionnement. Les organisateurs y proposent des visites originales, à l’instar du tribunal judiciaire de Périgueux (Dordogne) qui présente ses salles d’audience, mais aussi ses geôles, ou du palais de justice du Havre qui fait participer ses visiteurs à un faux procès.

Usines à fantasmes

Les JEP sont de fait souvent l’unique occasion d’accéder à des lieux dont la fréquentation est d’ordinaire très restreinte et qui sont, à ce titre, entourés de mystères et de fantasmes. Un des lieux très prisés des JEP est ainsi la Banque de France et ses succursales. Parmi les plus beaux sites, on recommande l’antenne de Lille, sise dans l’hôtel d’Hespel, qui rouvre après une vaste restauration. Autre site incontournable dans le secteur privé : la banque CIC de Nancy est un véritable coup de cœur. Et pour cause, sa salle des coffres, toujours en activité, possède une magnifique architecture Art nouveau ; une merveille réservée le reste de l’année à ses clients. Autres sources de fantasmes, les temples maçonniques participent de plus en plus régulièrement à cette manifestation révélant leur symbolique et leurs rites singuliers. Une occasion rare de découvrir des lieux on ne peut plus discrets, car réservés aux initiés, mais aussi un patrimoine original et pluriel. En marge des grandes loges, des temples atypiques ouvrent leurs portes telle la loge de Lyon-Villeurbanne, siège de la franc-maçonnerie écossaise. En outre, des temples nichés dans le Périgord témoignent de l’histoire des francs-maçons à la campagne, comme La Ruche des Patriotes à Ribérac ou le temple de Carsac-Aillac installé depuis peu dans un bâtiment rural. Ces lieux inaccessibles le reste de l’année et dont le fonctionnement excite l’imagination sont les plus plébiscitées des JEP. Gageons que pour cette 42e édition le réacteur de la centrale nucléaire de Creys-Malville (Isère) attise lui aussi la curiosité des foules.

Superphénix, réacteur nucléaire construit le long du Rhône sur le site de Creys-Malville. © Yann Forget, 2007, CC BY-SA 4.0
Superphénix, réacteur nucléaire construit le long du Rhône sur le site de Creys-Malville.
Photo Yann Forget, 2007
Coté coulisses

L’aspect « coulisses » suscite immanquablement l’intérêt du public. Les organisateurs l’ont bien compris puisque de nombreux sites axent leurs visites sur cette dimension offrant un panel extrêmement large. Caen entraîne ainsi les amoureux du patrimoine industriel dans les entrailles de la cité à la découverte de l’ancienne glacière de la ville normande. Construite au XIXe siècle, elle a longtemps servi à conserver d’importantes quantités de nourriture avant de devenir un refuge pour la population lors de la Seconde Guerre mondiale. Tout aussi surprenant mais dans un tout autre genre, le groupe hospitalier de Seclin dans le Nord ouvre un de ses blocs opératoires pour faire connaître l’envers du décor et sensibiliser au patrimoine hospitalier. Dans un registre plus classique, les lieux culturels, musées, théâtres et archives jouent pleinement la carte « coulisses » pour expliquer leur fonctionnement et mettre en valeur le talent de leurs équipes. Ces portes ouvertes permettent de pénétrer dans des espaces exclusifs tel le fort de Saint-Cyr (Yvelines) qui conserve les précieuses collections de la Médiathèque du patrimoine et de la photographie dans un des maillons de la ceinture militaire érigée pour protéger Paris après la guerre de 1870. En fonction de leur actualité, les établissements culturels proposent des visites de dépôts lapidaires, de chantiers de restauration ou encore la présentation de fonds précieux. D’autres métiers moins coutumiers de ce type de démarches proposent cette année de découvrir leurs coulisses tels France 3 Occitanie. La télévision régionale installée à Toulouse ouvre ses studios de tournage, sa régie et organise des rencontres avec ses journalistes et ses techniciens. Enfin, impossible de faire l’impasse sur un des patrimoines préférés des Français : le ferroviaire. Les JEP sont en effet synonymes d’ouvertures exceptionnelles dans le domaine des chemins de fer. Cette année ne déroge pas à la règle puisque les conducteurs du Paris-Chartres reçoivent les passionnés dans leurs cabines de conduite, tandis que la salle opérationnelle, centre névralgique de la gare Montparnasse, accueille les curieux, le temps du week-end.

Glacière souterraine de Caen. © François Decaens / Ville de Caen
Glacière souterraine de Caen.
© François Decaens / Ville de Caen
Retour à l’école

Patrimoine du quotidien, l’univers scolaire est lui aussi souvent à l’honneur lors des JEP, mettant en lumière l’extraordinaire richesse et diversité de ces sites inaccessibles le reste de l’année. Ces journées portes ouvertes constituent ainsi une opportunité rare d’admirer des lieux d’une beauté insoupçonnée. Alors que l’on célèbre le centenaire de l’Art déco, il est difficile de ne pas mentionner le lycée Jean-Monnet de Montrouge, en banlieue parisienne. Sa spectaculaire coupole de verre ainsi que ses reliefs, représentant le monde du travail, en font un des plus beaux exemples de l’incursion de cette esthétique dans le milieu scolaire. Dans un autre registre, les établissements catholiques se distinguent souvent par leur architecture ancienne. L’école Sainte-Catherine de Sienne est ainsi installée dans l’ancien couvent des Visitandines d’Aix-en-Provence. Malgré les aménagements, le site a conservé ses structures d’origine et de belles fresques du XVIIe siècle. Enfin, les JEP sont aussi l’occasion de découvrir un lieu hors du commun à Paris : la Fondation Eugène-Napoléon (12e arrondissement). Cette institution créée par l’impératrice Eugénie pour l’éducation des jeunes filles accueille toujours, fidèle à sa vocation, un groupe scolaire, un lycée professionnel et un foyer pour étudiantes dans un spectaculaire monument Second Empire.

La Fondation Eugène-Napoléon dans le 12e arrondissement de Paris. © Fondation Eugène-Napoléon
La Fondation Eugène-Napoléon dans le 12e arrdt de Paris.
© Fondation Eugène-Napoléon

JEP : patrimoine et animations 


Les JEP sont aussi l’occasion d’animations culturelles, de spectacles et de festivals. Créé en 2012, le Festival Coup de théâtre se déroule à ciel ouvert dans des lieux emblématiques comme le château d’Annecy ou les quais de la vieille ville. Le Théâtre de la Cité de Toulouse propose, lui, des visites augmentées des coulisses et des répétitions ouvertes de spectacles de la programmation de saison. Pour les amateurs du genre, le Musée de l’Antiquité Coriosolis à Corseul, en Bretagne, offre des reconstitutions de batailles gauloises et des ateliers d’artisanat. L’Opéra de Vichy, avec sa belle architecture Art nouveau, présente des mini-concerts. S’il faudra s’assurer des programmations des sites en amont, saluons un petit dernier, pour sa première édition : le Festival Viviers Pulsations, à Viviers, en Ardèche, un petit bourg tranquille dont les monuments méconnus (La Maison Sampzon, la Maison des Chevaliers, demeure romane remaniée à la Renaissance) vibreront lors de spectacles, ateliers de théâtre et de marionnettes…

Maxime Guillot

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°788 du 1 septembre 2025, avec le titre suivant : Journées du patrimoine, nos coups de cœur

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque