Justice

Toiles de Derain : pas de restitution pour les héritiers d'un marchand d'art juif spolié

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 31 août 2019 - 584 mots

PARIS

La justice française a débouté jeudi les héritiers d'un collectionneur d'art juif spolié pendant la guerre qui demandaient la restitution de trois toiles du fauviste André Derain exposées depuis des années dans des musées.

Pour le tribunal correctionnel de Paris, des « incertitudes persistantes quant à l'identification des tableaux » subsistent, selon la décision consultée par l'AFP.

« Parce que nous sommes sûrs de notre bon droit, nous allons faire appel », a réagi la petite-fille du collectionneur René Gimpel, Claire Touchard. « Nous considérons au vu du jugement que c'est difficile de décrocher des tableaux des collections nationales et que les juges ont peut-être été un peu timides », a-t-elle dit à la presse.

Plus de 75 ans après l'Occupation, les descendants du grand galeriste parisien René Gimpel attendent encore de récupérer l'ensemble des oeuvres spoliées ou disparues dans le tumulte de la guerre. Après des années d'enquête, ils avaient affirmé avoir retrouvé trois Derain, acquis par leur aïeul lors de la vente de la collection Kahnweiler en 1921 à Paris.

Ils réclament au ministère de la Culture la restitution de ces toiles peintes entre 1907 et 1910, Paysage à Cassis, La Chapelle-sous-Crecy et Pinède, Cassis, exposées pour les deux premières au musée d'art moderne de Troyes et pour la troisième au musée Cantini de Marseille. Ils se fondent pour cela sur une ordonnance d'avril 1945 sur la nullité des actes de spoliation.

Ces oeuvres ont voyagé, changé de nom, parfois été rentoilées : à l'audience, le 25 juin, les avocats du ministère et des musées avaient mis en doute la concordance entre les oeuvres réclamées et celles acquises par René Gimpel. C'est ce qu'a retenu le tribunal, estimant que ces incertitudes « ne permettent pas d’appliquer » l'ordonnance de 1945. 

Pour l'avocate du musée d'art moderne de Troyes, Béatrice Cohen, « le tribunal a rendu une décision juste : il a noté toutes les incertitudes sur l'identification et le parcours des tableaux ». « Un moulin qui devient une chapelle, des oeuvres qui changent de dimension, une signature qui est au bas du Paysage à Cassis au musée et qui était au dos de l'oeuvre dans le catalogue de la vente Kahnweiler... trop d’incohérences », a résumé l'avocate, se félicitant par ailleurs que le musée de Troyes ait été mis hors de cause, n'étant qu’ « affectataire » et non propriétaire des toiles exposées, enregistrées dans les collections nationales.

Le tribunal ne remet pas en cause le fait que René Gimpel, un des plus grands collectionneurs d'art du début du XXe siècle, résistant et mort en déportation en janvier 1945, ait été spolié. Il avait fui Paris en octobre 1940 pour la Riviera française, été arrêté en 1944 et déporté au camp de Neuengamme.

« S'il est établi que les autorités allemandes ont confisqué deux caisses contenant pour l'une quatre et pour l'autre 23 tableaux, confiées à l'entreprise Robinot pour transport en 1942, rien ne permet d'affirmer que les tableaux litigieux se trouvaient dans ces caisses, en l'absence d'inventaire de leur contenu », relève les juges dans leur décision. 

« Je comprends que le tribunal ait été prudent. Nous ne savons pas dans quelles conditions les tableaux ont été vendus. C'était la guerre, René Gimpel était interdit d’exercer », a expliqué l'avocate des héritiers, Corinne Hershkovitch, qui avait entamé en 2013 des démarches auprès des musées. « Nous avons beaucoup d'éléments qui prouvent que René Gimpel a été dépossédé de ces tableaux entre 16 juin 1940 et 1944, ce qui normalement devrait suffire pour appliquer les dispositions de l'ordonnance de 1945 », a-t-elle estimé.

Cet article a été écrit par l'AFP le 29 août 2019.

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