Politique culturelle

Rachida Dati évide en silence le Pass culture

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 17 mars 2025 - 873 mots

Le crédit individuel pour les jeunes âgés de 18 ans passe de 300 à 150 euros, tandis que celui des 15-16 ans est supprimé.

Rachida Dati - Photo Thesupermat, 2016 - Licence CC 4
Rachida Dati

Paris. Il y a les mots et il y a les faits. Depuis son arrivée au ministère de la Culture en janvier 2024, Rachida Dati n’a cessé de rappeler son intention de modifier le Pass culture afin de répondre aux deux demandes récurrentes adressées à ce dispositif phare de la présidence d’Emmanuel Macron : encourager la diversité des pratiques culturelles et cibler davantage les jeunes les plus éloignés de la culture. Elle avait en particulier annoncé vouloir réserver une partie du crédit du Pass au spectacle vivant, une mesure qui n’a jamais été mise en place. Au demeurant, la faible consommation dans le spectacle vivant concerne surtout le théâtre, car les achats de billets de concerts et tickets de cinéma sont loin d’être anecdotiques.

Dans les faits, la ministre est allée au plus simple : diminuer voire supprimer les crédits individuels alloués jusqu’ici. Mais alors qu’elle est toujours prompte à publier un communiqué de presse sur ses initiatives, aucune annonce n’a accompagné le décret du 27 février qui réduit de moitié à compter du 1er mars (!) le crédit de 300 euros alloué aux jeunes de 18 ans. À l’origine (dans le programme électoral d’Emmanuel Macron en 2017), le montant de ce « droit de tirage » était de 500 euros. La baisse est conséquente.

« Rendez-nous le Pass culture ! »

Même la Cour des comptes n’est pas allée aussi loin dans ses recommandations en décembre dernier lorsqu’elle envisageait de ramener cette part à 200 euros. Et d’ailleurs, dans sa lettre de réponse adressée à la Cour, la ministre n’évoque pas une diminution mais une modulation « en fonction de la réalité des ressources » des jeunes. C’est en partie vrai, puisque la baisse n’est que de 100 euros pour les jeunes en situation de handicap ou pour ceux dont le quotient familial du responsable légal, au cours de leur dix-septième année, est inférieur à un montant fixé par arrêté du ministre.

Les jeunes de 15 et 16 ans, eux, n’ont plus droit à rien (si ce n’est aux offres gratuites). Il y a deux ans, les premiers avaient pu bénéficier d’une enveloppe de 20 euros et les seconds de 30 euros. En revanche, les jeunes de 17 ans voient leur dotation passer de 30 à 50 euros. Ces coups de rabot ne concernent cependant pas la part collective.

Les critiques n’ont pas tardé à émerger. Venant des jeunes déjà, qui sont, moins d’une semaine après sa mise en ligne, plus de 70 000 (*) à avoir signé une pétition intitulée « Rendez-nous le Pass culture ! » (Change.org). L’autrice de cette pétition explique : « Je m’appelle Mathilde Fouqué, j’ai 19 ans et je suis créatrice de contenus scolaires. J’ai moi-même bénéficié des avantages du Pass culture, qui m’ont permis d’acheter mes livres pour l’école, de faire des activités avec mes amis et de me prendre le CinéPass pendant six mois alors que je n’aurais pas pu me permettre d’aller autant au cinéma. Je suis au contact des jeunes tous les jours et je sais combien le Pass culture est utile. » Sur TikTok, les posts vengeurs se multiplient avec des « likes » qui se comptent pour certains en plusieurs centaines de milliers.

Les « offreurs » quant à eux commencent aussi à monter au créneau, voyant une partie de leur chiffre d’affaires partir en fumée. Premier bénéficiaire des achats avec un montant total de 93 millions d’euros en 2023, le secteur du livre s’émeut par la voix du Syndicat de la librairie française (SLF) en mettant astucieusement en avant l’argument de l’incitation à la lecture : « En réduisant à la fois le nombre de bénéficiaires et la dotation qui leur est versée, cette réforme va considérablement atténuer l’élan que ce dispositif a créé dans les relations entre les jeunes, le livre et les librairies. » Le SLF dénonce par ailleurs la méthode. Il rappelle que la ministre avait commandé une « mission flash » afin d’« d’étudier l’impact de la mesure sur le secteur du livre et de la lecture, et de proposer des solutions qui valorisent le réseau des librairies indépendantes ». Or le rapport n’a pas été rendu public et la mission n’est pas revenue vers les libraires. Même réaction au Syndicat national de l’édition qui « redoute que cette mesure fragilise la chaîne du livre, et en particulier ses acteurs les plus vulnérables parmi les auteurs, éditeurs et libraires ».

Les motivations de cette décision sont avant tout budgétaires. En année pleine, ce nouveau barème peut faire économiser jusqu’à 140 millions d’euros. La Cour des comptes avait calculé qu’une baisse à 200 euros pour les 18 ans pouvait faire économiser de 30 à 40 millions d’euros.

Le paradoxe est que, alors que le Pass culture a été très vite et très largement adopté par les jeunes, Emmanuel Macron et son gouvernement n’en ont pas bénéficié électoralement. Mais maintenant qu’il est réduit de moitié ou supprimé pour les 15-16 ans, il en est fait reproche à l’exécutif. Il se pourrait même que plusieurs voix s’élèvent parmi les politiques et les experts pour dire tout le bien qu’ils pensent du Pass.

ADDENDUM - 17 mars 2025

(*) La pétition a dépassé les 110 000 signatures.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°651 du 14 mars 2025, avec le titre suivant : Rachida Dati évide en silence le Pass culture

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