Société

L’ex-Premier ministre et président de la future Fondation pour la mémoire de l’esclavage explique les enjeux de l’expo d’Orsay

Par Christine Coste · lejournaldesarts.fr

Le 25 mars 2019 - 707 mots

PARIS

Alors que s’ouvre l’exposition « Le modèle noir de Géricault à Matisse » au Musée d’Orsay, Jean-Marc Ayrault président de la future Fondation pour la mémoire de l’esclavage, des traites et de leurs abolitions a répondu aux questions du Journal des Arts.

Jean-Marc Ayrault © GIP / MME
Jean-Marc Ayrault
© GIP / MME

Dans le cadre de l’exposition « Le modèle noir, de Géricault à Matisse », le Musée d’Orsay s’est engagé à modifier tous les titres d’œuvre comportant des marqueurs raciaux. Quels sont les enjeux de cette décision ?
Jean-Marc Ayrault.
 De s’interroger avant tout sur le regard que nous portons sur les personnes que ces œuvres représentent. Au pire ces personnes étaient regardées comme des accessoires, pas comme des personnes humaines à part entière. Les artistes les ont désignées avec des stéréotypes de leur temps. Aujourd’hui nous les regardons comme des personnes qui avaient une vie, une identité, une dignité et nous leur redonnons un nom si nous le connaissons. Le travail des historiens et conservateurs nous aide à mieux regarder ces œuvres. 
Le musée de Nantes quand j’étais maire de la ville avait pris soin de compléter et de mieux documenter les cartels anciens de ses collections liées à l’histoire de l’esclavage et à l’histoire coloniale. Le colloque que nous organisons le 6-7 mai au Musée d’Orsay sur le patrimoine matériel et immatériel de cette histoire réunira divers musées ou institutions régionales, nationales ou internationales engagés dans ce travail. Ces journées préfigureront le réseau professionnel que nous voulons créer sur le sujet avec toutes ces institutions. 

Un mémorial national en hommage aux victimes de l’esclavage doit être érigé dans le jardin des Tuileries. Il y a débat sur l’inscription des noms des anciens esclaves. Qu’en pensez-vous ? 
J-M.A. Ces noms marquent le passage du statut d’esclave au statut de citoyen. Il est donc important de les inscrire, comme le Premier ministre l’a dit lui-même le 10 mai dernier. J’ai discuté longuement avec les promoteurs de ce projet et mené divers déplacements en Outre-mer, je suis convaincu qu’il faut un geste de cette nature de la part de l’État. Ne pas le faire serait mal vécu par leurs descendants. La Mission pour la Mémoire de l’esclavage n’est pas chargée de ce projet mais participent à ses travaux préparatoires. Ils sont conduits par le ministère de la Culture et le ministère des Outre-mer. Le Musée du Louvre en assure la maîtrise d’ouvrage en tant que gestionnaire du jardin. 

L’assemblée nationale a supprimé le 12 juillet 2018 le mot race de l’article 1er de la Constitution française. Mais le texte n’est pas encore validé. Etes-vous optimiste sur l’issue ? 
J-M.A. Il ne faut pas désespérer. L’enjeu de la disparition de ce terme, c’est de lutter contre le racisme et les discriminations et de montrer que la République assure à tous l’égalité sans considération d’origine, d’opinion, de religion ou de genre.

Dans un courrier au ministre de l’Éducation vous vous inquiétiez du retrait de l’histoire de l’esclavage dans les nouveaux programmes d’histoire. Avez-vous obtenu une réponse de Jean-Michel Blanquer ?
J-M.A. Je viens de l’obtenir. Le ministère a intégré une partie de nos remarques sur les programmes, qui n’abordaient l’esclavage et la traite qu’à travers les autres puissances coloniales. Nous avons obtenu qu’en seconde, la France soit évoquée, à travers l’étude des ports et de l’économie de plantation, et la place de l’esclavage avant et après la conquête de l’Amérique. En 1ère, l’abolition de l’esclavage a été inscrite dans les prolongements des idéaux de la Révolution française en 1848. Ces aménagements restent néanmoins insuffisants puisqu’ils n’abordent pas la première abolition proclamée en 1794 ni la révolte des esclaves de Saint-Domingue en 1791, première révolution d’esclaves qui a abouti pourtant à la première émancipation de l’Histoire, fait mondial qui s’est déroulé sur une terre alors française. C’est pourquoi nous demandons que ces oublis regrettables soient eux aussi réparés. 

Vous cherchez à réunir un capital de 1,5 million d’euros et un budget annuel de 2 millions pour la Fondation. Où en êtes-vous ? 
J-M.A. Nous sommes pratiquement arrivés au but pour le capital et dans la levée de fonds pour que nos actions soient garanties sur plusieurs années, l’objectif étant de déposer au Conseil d’État notre projet de fondation d’utilité publique à l’occasion des journées commémoratives de l’abolition de l’esclavage en mai prochain.
 

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