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L’Europe veut faciliter la restitution des biens volés entre Etats membres

Par Marion Le Bec · lejournaldesarts.fr

Le 27 janvier 2014 - 935 mots

BRUXELLES / STRASBOURG

BRUXELLES / STRASBOURG [27.01.14] – Faisant le constat alarmant d’une hausse du trafic illicite des biens culturels, la Commission de la Culture du Parlement européen a approuvé le 21 janvier 2014 la révision de la directive de 1993 afin de faciliter la restitution des œuvres d’art entre Etats membres.

Les nombreux vols d’œuvres d’art dans les collections publiques européennes ou dans des galeries d’art ont décidé la Commission de la Culture à faciliter la procédure de restitution des biens culturels et trésors nationaux.

La procédure actuelle, qui date de 1993, s’inscrit dans la mise en place en 1992 du marché intérieur de l’Union européenne et son principe de libre circulation des marchandises. Or, le statut des biens culturels ne pouvait être encadré par un régime général des marchandises circulant au sein du territoire européen. Aussi, il fut décidé de mettre en place un régime dérogatoire pour ces biens spécifiques via les dispositions de l’article 36 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne, relatif à la protection des trésors nationaux des Etats membres. Ces derniers jouissent - grâce au règlement pris sur cette base en 1992 – d’une limitation de circulation par l’établissement de restrictions aux frontières (contrôle a priori).

Néanmoins, à ce stade de la construction d’un cadre juridique favorable à la protection du patrimoine européen devait être envisagée la question de la législation afférente aux conséquences d’une entorse à ces règles (action a posteriori). La directive de 1993 (directive 93/7/CEE du 15 mars 1993 relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un Etat Membre) est alors venue conforter ce package juridique par l’instauration d’une procédure de restitution des biens culturels classés trésors nationaux.

Un bilan mitigé
Plus de 20 ans après l’adoption de cette directive, le bilan reste mitigé : il n’y aurait eu en effet qu’une quinzaine d’actions en restitution intentées depuis 1993 et une soixantaine de biens classés aurait fait l’objet d’un retour. Des rapports d’évaluation, issus du Parlement européen, ont notamment mis en exergue l’inadaptation du texte aux réalités du marché qui a, depuis, subi les évolutions liées à la commercialisation des biens sur Internet. On compte à ce jour une moyenne de 8 000 délits et 40 000 objets soustraits chaque année et ce principalement en France, en Allemagne, en Pologne ainsi qu’en Italie. La Commission de la Culture du Parlement européen a donc décidé, en 2009, la création d’un groupe de travail chargé d’identifier les principaux problèmes du texte et d’en proposer les solutions. Le rapport de ce groupe « Return of Cultural Goods » a été rendu en 2011 et en a donc conclu à la nécessaire modification de l’acte normatif. En mai 2013, la Commission européenne a, sur ces conclusions, présenté une refonte législative, constatant l’inefficacité de la législation de 1993. Il ne restait donc plus aux députés de la Commission de la Culture du Parlement européen de voter en faveur de cette révision, chose faite le mardi 21 janvier 2014.

Actuellement, une action en restitution s’effectue à la demande de l’Etat requérant auprès de l’Etat membre requis (pays où se trouve le possesseur ou détenteur du bien) en présentant un document spécifiant la nature du bien ainsi que sa description, accompagné d’un document faisant foi de sa sortie illicite du territoire de l’Etat requérant. L’autorité centrale de l’Etat membre requis, dès réception de l’action prise à son encontre, doit en informer les autorités centrales des autres Etats membres.

L’action se prescrit initialement dans un délai d’un an à compter de la date de prise de connaissance de l’Etat requérant du lieu où se trouvait le bien et de l’identité de son possesseur/détenteur. La révision prévoit que ce délai soit augmenté à 3 ans.

La restitution est toujours ordonnée par le tribunal compétent de l’Etat requis si les conditions susmentionnées sont remplies. En principe, une indemnisation peut être faite par l’Etat requérant au possesseur, si la preuve de la « diligence requise » est apportée. Ici, la révision prévoit un durcissement de l’article 9 de la directive 93/7/CE en donnant caractère obligatoire à la « diligence requise ». De ce fait, la personne qui a en sa possession un objet culturel revendiqué doit prouver que, lors de l'acquisition du bien, elle a fait toutes les démarches nécessaires pour s’assurer que ce dernier provenait d’une source légale. Si le possesseur ne peut pas apporter ces preuves, l'État requérant ne devra plus l'indemniser. Cette modification vise à abaisser les coûts supportés par les Etats lors d’une telle procédure, à éviter les amalgames avec la notion de « bonne foi », adoptée au niveau national et bien moins précise, et enfin à faire peser la charge de la preuve uniquement sur le possesseur/détenteur.

Les Etats sont également incités à entreprendre un enregistrement des biens volés auprès des organismes compétents, à l’instar de l’OCBC, d’Interpol ou de l’ICOM.

Le texte de 1993 fixe également des outils d’interprétation afin d’aider à la définition de ce qu’est un trésor national. Avec la révision cependant, toute limite d'ancienneté et de valeur financière a été éliminée.

Il est à rappeler que la directive de 1993 ne peut être appréhendée comme le moyen juridique pour envisager le retour des objets spoliés qui sont eux régis par un « devoir de restitution » invoqué par la Convention de Washington ratifiée en 1998 et aux efforts consentis par les différents gouvernements. La directive n’étant pas rétroactive, elle ne concerne que les trésors nationaux sortis illicitement après la date de son entrée en vigueur.

Il reste maintenant au Conseil et à la Commission de négocier le texte définitif de cette modification de la directive.

Légende photo

Le parlement européen de Strasbourg - © Photo Cédric Puisney - 2003 - Licence CC BY-SA 3.0

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