États-Unis - Restitutions

Les effets de la nouvelle loi américaine sur les collections autochtones

Par Marion Krauze · lejournaldesarts.fr

Le 30 janvier 2024 - 731 mots

ÉTATS-UNIS

Les musées doivent désormais obtenir le consentement des tribus indigènes pour exposer des objets appartenant à leur culture. 

La galerie Northwest Coast Hall rénovée. © American Museum Of Natural History
La galerie Northwest Coast Hall rénovée.
© American Museum Of Natural History

De nouvelles règles fédérales portant sur la détention et l’exposition de restes ancestraux et d’artefacts amérindiens ou hawaïens sont entrées en vigueur vendredi 12 janvier. Elles visent à accélérer le processus de restitution aux tribus des restes humains, objets funéraires, objets sacrés et objets du patrimoine culturel. Plusieurs musées américains – dont l’American Museum of Natural History de New York – ont commencé à retirer les objets autochtones de leurs collections.

Ce processus législatif a débuté en 1990 avec l’adoption du Native American Graves Protection and Repatriation Act (Nagpra), une loi fédérale qui exige que les biens culturels amérindiens ayant été déterrés soient rendus aux peuples natifs. La mise en œuvre de la loi, du ressort du National Park Service, avait été critiquée par les représentants des tribus, qui la jugeaient trop lente. En décembre 2023, l’organisme ProPublica rapportait que les musées américains détenaient encore au moins 97 000 dépouilles et objets amérindiens.

Les nouvelles règles exigent dorénavant que les musées et autres institutions américaines obtiennent le consentement des descendants des tribus indigènes pour effectuer des recherches ou exposer des restes humains et objets culturels, l’objectif restant à terme de les restituer. Deb Haaland, secrétaire à l’Intérieur des États-Unis et d’origine amérindienne a rappelé l’importance de l’accord des tribus. Le gouvernement accélère ce processus de restitution en fixant un délai de cinq ans aux institutions. Elles ont jusqu’à 2029 pour consulter et mettre à jour les inventaires des restes humains et objets funéraires en vue de leur restitution.

La loi révisée comble également une lacune en éliminant la catégorie des « restes humains culturellement non identifiables », qui permettait à plusieurs musées de conserver des restes ancestraux et objets funéraires sous prétexte qu’ils ne pouvaient être rattachés à une communauté autochtone actuelle en raison du manque d’informations à disposition. Les musées devront désormais déterminer, en consultation avec les tribus, quelle communauté peut légitimement les revendiquer. Si le choix est impossible, le musée devra en détailler la cause auprès du National Park Service.

Cette nouvelle réglementation contraint les musées américains à repenser en profondeur la manière dont ils exposent les cultures indigènes. L’exposition de restes humains amérindiens est généralement interdite dans les musées, de sorte que cette réévaluation concerne surtout les objets sacrés, effets funéraires et objets du patrimoine culturel. Plusieurs musées – comme le Field Museum de Chicago et le Cleveland Museum of Art – ont déjà recouvert certaines de leurs vitrines. Le Metropolitan Museum of Art de New York a quant à lui retiré une vingtaine d’objets de ses salles consacrées aux instruments de musique.

La décision la plus forte est celle de l’American Museum of Natural History de New York, qui a fermé deux de ses salles depuis vendredi 26 janvier. « Ces salles sont les vestiges d’une époque où les musées comme le nôtre ne respectaient pas les valeurs, les perspectives et même l’humanité partagée des peuples autochtones » explique Sean Decatur, le directeur du musée, dans un courriel adressé au personnel et rapporté par le New York Times. Le musée ferme ses salles consacrées aux forêts de l’Est et aux Grandes Plaines, rendant inaccessibles aux visiteurs près de 1 000 m² d’espace d’exposition. Parmi les objets concernés, figurent un canoë en écorce de bouleau de la tribu des Menominee, des fléchettes vieilles de 10 000 ans et une poupée Katsina de la tribu Hopi provenant de l’actuel Arizona. Le musée n’a pas encore indiqué de date de réouverture de ces salles.

Cette nouvelle réglementation, qui marque une grande avancée dans la reconnaissance des cultures autochtones, suscite malgré tout quelques inquiétudes. Certains responsables de tribus craignent notamment que le délai imposé de cinq ans entraîne une surcharge de demandes de la part des musées, qui seraient difficilement gérables et pourraient constituer un coût financier. Shannon O'Loughlin, directrice de l’Association of American Indian Affair, salue à l’inverse ces nouvelles règles mais rappelle leurs limites, puisqu’elles ne concernent pas les collectionneurs privés et les maisons de ventes aux enchères.

En France, une loi sur la restitution de restes humains à des États étrangers a été adoptée par le Parlement en décembre 2023. Cette loi a aussi pour vocation de faciliter les rapatriements, en créant une dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques. Elle s’applique dans le cas où un État étranger réclame des restes humains d’individus décédés après 1500, et ce à des fins exclusivement funéraires ou mémorielles.

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