Design moderniste

Les charmes du design nordique

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 7 septembre 2010 - 973 mots

Le design scandinave a conquis les collectionneurs depuis dix ans. Un tri se révèle nécessaire entre les objets édités en peu d’exemplaires et ceux toujours produits.

Le mobilier scandinave connaît son âge d’or entre 1930 et 1965. Sa touche distinctive ? « Un côté honnête, simple et architectonique. Ces meubles sont faits pour durer », observe Maria Wettergren, ancienne directrice de la galerie Dansk Møbelkunst (Copenhague, Paris). Pour l’historienne Anne Bony, ce design « est porté par une éthique humaniste dont les origines remontent au luthéranisme ». Dans les années 1920, le mobilier du Finlandais Eliel Saarinen se ressource au folklore national. Dans le même temps, son confrère Alvar Aalto travaille sur le bois laminé et plié. Alors que les tenants du « Swedish Grace », défendu par le marchand parisien Éric Philippe, s’accrochent au néoclassicisme, le Suédois Bruno Mathsson combine recherche ergonomique et maîtrise artisanale. Le mobilier scandinave n’a pas laissé indifférents les autres créateurs européens. Le fauteuil Éléphanteau de Jean Royère n’est pas sans rappeler les publicités d’ensembles mobiliers publiées dans la revue suédoise Form…

Au Danemark, le design connaît un double élan grâce à la collaboration avec les maîtres ébénistes d’une part, le développement industriel d’autre part. Malgré le souci d’épure et de fonctionnalisme, les créateurs danois se distinguent par le choix de matériaux chaleureux et un certain classicisme enveloppant. Car il s’agit de répondre à la rudesse du climat extérieur avec des intérieurs efficaces mais accueillants. « Ce qui distingue les créateurs danois, c’est la finition, le souci des matières bien travaillées, un minimalisme compensé par des bois sablés, des cuirs capables de prendre une belle patine en vieillissant », précise Maria Wettergren.

L’acier à l’honneur
À la fois designer et maître ébéniste, Hans J. Wegner s’est taillé une réputation dans l’assise en créant des chaises très sculptées comme le modèle Valet. Contemporain de Wegner, Finn Juhl aura beaucoup puisé dans les arts plastiques. Le vocabulaire organique d’un Jean Arp ou d’un Constantin Brancusi pointe dans sa célèbre Chieftain Chair de 1949. Travaillant l’articulation de chaque élément qui compose le fauteuil, Finn Juhl libère le dossier de l’assise pour donner plus de légèreté à l’ensemble. Marqué par Gerrit Rietveld et Mies van der Rohe, Poul Kjærholm a, lui, donné ses lettres de noblesse à l’acier. « Il soignait chaque partie du meuble, même les vis et les parties invisibles », souligne Maria Wettergren. Arne Jacobsen restera sans doute l’architecte-designer le plus connu pour ses formes arrondies, avec sa célébrissime chaise cintrée Fourmi ou le fauteuil Egg réalisé en 1958 pour l’hôtel SAS Royal de Copenhague. Deux pièces encore produites actuellement, avec des variantes. Le pied d’un exemplaire ancien du Egg est ainsi à l’époque d’un seul tenant en aluminium, tandis qu’il est constitué de deux morceaux aujourd’hui. Le rembourrage de la coque diffère également.

Avec sa tradition de beaux matériaux, son côté moderne mais rassurant, le mobilier scandinave a naturellement pris pied dans les intérieurs des collectionneurs. Les prix ont de fait connu une augmentation continue depuis le début des années 1990, avec un essor constaté d’abord en Europe puis aux États-Unis grâce à feu Philippe Denys, marchand bruxellois, et à Dansk Møbelkunst. Ont aussi compté les ventes de Christie’s initiées à Londres en 2006, puis celles de la maison de ventes Wright à Chicago. L’intervention depuis deux ans des collectionneurs russes, notamment de Roman Abramovitch, a dopé les prix. Les pièces de Kjærholm ont enregistré la hausse la plus considérable. Au début des années 1990, le lit de repos PK 80 de 1957 se négociait autour de 5 000 euros. Il faut compter aujourd’hui près de 42 000 euros pour la version en cuir naturel cognac. Il est toutefois possible de trouver des pièces intéressantes entre 8 000 et 10 000 euros signées de designers moins connus comme Helge Westergaard Jensen, Edvard Kindt-Larsen ou Ole Wanscher.

Certains professionnels constatent néanmoins un petit essoufflement du marché. « C’est un marché de spécialistes. Il faut faire la part des choses entre les modèles anciens et ceux actuels, observe le spécialiste Jean-Marcel Camard. C’est toujours un problème avec des modèles pour lesquels la production est continue. »

Poul Henningsen, le maître de la lumière

S’il est un nom à retenir dans le luminaire scandinave, c’est bien celui de Poul Henningsen. Sensible aux problèmes de la réflexion lumineuse, ce dernier superposait des abat-jours en forme d’assiettes évidées, masquant ainsi la source de lumière et la répartissant par ricochet. Fabriquée en 1958 pour le restaurant Langelinie à Copenhague, la lampe Artichaut substitue des plaques carrées en cuivre aux coupelles. En mars 2010, la maison de ventes Bergé & associés a cédé à Bruxelles un exemplaire de 1960 pour 8 500 euros. Dans la même vente, un exemplaire daté cette fois de 1970 s’est contenté de 4 000 euros. Néanmoins, Henningsen a réalisé quelques modèles rarissimes. C’est le cas de la sculpture murale Spiral, exclusivement dessinée pour le Cinéma Scale en 1955, et dont le Centre Pompidou possède un exemplaire. Voilà quatre ans, une pièce s’est vendue 60 000 euros. En octobre 2009, la galerie Dansk Møbelkunst (Paris, Copenhague) proposait un spécimen pour 180 000 euros à la Foire internationale d’art contemporain (FIAC), à Paris. La barre a été placée à 240 000 euros en juin dernier sur le stand de la Jacksons Gallery (Stockholm, Berlin) lors de la foire Design Miami à Bâle.

À la Biennale des antiquaires, Dansk Møbelkunst offrira pour 65 000 euros une suspension fluorescente d’Henningsen, spécialement réalisée en 1959 pour l’exposition « La maison du futur » à Copenhague. La lampe, qui existe en vingt exemplaires, s’inspire largement du modèle Artichaut. L’introduction de la couleur via des abat-jours jaunes, rouges et blancs lui donne toutefois une allure plus expérimentale. Par le biais d’un tube fluorescent les abat-jours blancs deviennent bleus. Avec cette pièce, Henningsen semble annoncer l’univers psychédélique d’un Verner Panton.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°330 du 10 septembre 2010, avec le titre suivant : Les charmes du design nordique

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