ARCHÉOLOGIE

Le profil grec très recherché

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 7 septembre 2010 - 980 mots

Les belles sculptures grecques demeurent rares et chères, contrairement aux monnaies et aux vases. Le choix décoratif prime sur l’intérêt historique.

Après d’importants travaux de réaménagement, le Musée du Louvre a ouvert au public, début juillet, les nouvelles salles consacrées à l’art grec classique et hellénistique. Y sont rassemblés les témoignages artistiques afférents aux différentes régions du monde grec, visant à gommer la hiérarchie entre matériaux et techniques. Ainsi le visiteur peut-il désormais apprécier la grande statuaire à côté de la céramique, de la coroplastie, de la joaillerie... Sur le marché de l’antiquité, l’art grec reste une denrée rare, en dehors des monnaies, des vases et des tanagras. « Il apparaît beaucoup moins de bronzes et de marbres grecs sur le marché que de sculptures romaines, note Max Bernheimer, directeur international du département des antiquités chez Christie’s à New York. Néanmoins, la préférence des collectionneurs va à la statuaire grecque, qui demeure le pinacle de la création artistique dans l’Antiquité. » « Il ne faut pas oublier que la majorité des sculptures grecques ne sont connues que par leurs répliques romaines », objecte l’expert parisien Christophe Kunicki en défenseur de l’art gréco-romain.

Du fait de leur rareté, les sculptures grecques sont surtout beaucoup plus onéreuses que les répliques romaines. Mais aussi prisée soit-elle, la statuaire grecque n’échappe pas aux critères de sélection du marché : le choix décoratif prime largement sur l’intérêt historique. Les têtes et bustes de jeunes éphèbes ou de belles déesses ne présentant ni manque majeur ni disgracieuse cassure l’emportent. Un particulier a déboursé 468 000 dollars (347 000 euros) pour un magnifique torse d’Artémis en marbre de la période hellénistique, le 8 juin 2007 à New York chez Christie’s, soit plus du double de l’estimation haute. Mais le 10 juin 2010, toujours à New York chez Christie’s, une séduisante tête d’Aphrodite de 29 cm, de la période hellénistique, en marbre finement sculptée et dans un très bel état de conservation, n’a pas trouvé preneur sur une estimation très raisonnable de 150 000 dollars. C’est malheureusement ce qui arrive aux objets d’art que l’on a trop vu circuler sur le marché, souvent à un prix très ambitieux. Lorsqu’ils sont finalement proposés aux enchères, même à un prix minoré, ils manquent de fraîcheur aux yeux des collectionneurs, qui s’en détournent.

Une noble douceur propre à l’art grec 
Avec une édition 2010 particulièrement riche en art grec, la Biennale des antiquaires devrait attirer les amateurs. Dans la section « Tremplin pour la Biennale », David Ghezelbash présente une tête monumentale de Zeus en marbre. « Il existe des têtes de Zeus de l’époque romaine, mais leur traitement stylistique est différent, indique l’antiquaire. Celle que j’expose à la Biennale présente des orbites très profondes surmontées d’arcades sourcilières très prononcées, typiques de l’art grec. La chevelure traitée de façon "baroque" en relief dit "flou" ainsi que la moue des lèvres charnues accentuant l'effet général de "pathos", sont également caractéristiques de l'art hellénistique. Il se dégage de cette sculpture une noble douceur due à des effets de sfumato propres à l’art grec et que l’on ne retrouve pas dans l’art romain. »

La galerie Phoenix Ancient Art, basée à Genève et New York, livre une rarissime sculpture en bronze d'Alexandre le Grand de la période hellénistique, « reflétant probablement l’original du IVe siècle, qui était l’œuvre de Lysippe, le seul sculpteur officiellement autorisé par Alexandre lui-même à exécuter ses portraits et ses statues », précise la galerie qui expose aussi une rarissime et très ancienne idole cycladique en marbre, de type « Plastiras ». « Cette œuvre exceptionnelle et étonnante représente véritablement une pierre d’achoppement dans la civilisation occidentale !, défend Michael Hedqvist, le directeur de la galerie genevoise. Nous sommes vers 3000 avant J.-C., à la fin du Néolithique, à l’époque proto-Uruk, proto-sumérienne et prédynastique en Égypte, en face d’une sculpture d’une très grande finesse, représentant un homme – donc déjà éloigné des déesses mères, et ceci de manière étonnement réaliste ! »

Atypique par son réalisme, cette statuette de 29,2 cm va probablement allécher les institutions, plus que l’amateur classique d’art des Cyclades. Car c’est la modernité de ces mystérieuses idoles, habituellement d’une grande épure géométrique contrastant avec leur époque ancienne, qui fait aujourd’hui vibrer les amateurs. À condition qu’elles soient authentiques (il y a beaucoup de faux), ces rares statuettes se cèdent aisément en vente publique entre 150 000 et 300 000 euros, en fonction de leur qualité sculpturale et de leurs dimensions (en moyenne de 15 à 25 cm).

Idole des Cyclades

Par sa pureté et l’équilibre de sa composition, cette idole en marbre est un bel exemple de la variété dite de « Spédos » qui représente, vers le milieu du IIIe millénaire av. J.-C., la quintessence de la sculpture cycladique. Elle possède tous les éléments caractéristiques du type « Spédos », notamment la tête en forme de lyre et des proportions harmonieuses articulées en quatre parties quasi égales (tête et base du cou, torse, bas du ventre et cuisses, mollets et pieds). Posée sur le dos sur une surface plane, elle offre trois points de contact : le sommet du crâne, une ligne à l'arrière du bassin et les talons.

Pour l’antiquaire parisien Corinne Kevorkian, « cet objet est remarquable par la blancheur de la pierre très proche de la couleur d'origine, rehaussée de légères traces de peinture au niveau des yeux et de la coiffure. La couleur elle-même, probablement bleue, n'a pas été conservée, mais la matière graisseuse qui servait à sa tenue a protégé les surfaces peintes des incrustations, usures et concrétions présentes sur les autres parties de la pièce et qui sont des indicateurs de son ancienneté. L’arrondi des formes confère à cette pièce une délicatesse et une douceur particulières ». Cette idole sera exposée au Musée Zervos à Vézelay (Yonne), de juin à octobre 2011, à l’occasion d’une exposition consacrée à l’art des Cyclades.

« Dur de démêler art grec et romain »

Laure Chevalier, docteure en archéologie grecque, expert en marbres antiques grecs et romains, dirigeant de la société Agalmata, Paris.

Vous avez identifié une statue acéphale inédite en marbre, présentée à la Biennale des antiquaires par l’antiquaire parisien Antoine Tarantino comme une authentique sculpture hellénistique et non comme une copie romaine. Est-ce difficile de trancher ?
En archéologie classique, ce n’est pas toujours simple de démêler le grec du romain. Aussi, je multiplie les approches en m’appuyant sur un faisceau d’indices, portant en premier lieu sur l’aspect technique : la nature du marbre employé selon le type de statuaire ; sa taille en un seul bloc ou plusieurs pièces de marbre ; son degré de finition en fonction de la destination de la sculpture (commande publique importante ou production décorative commune) ; l’étude du traitement de la surface révélant le type d’outils utilisés… Pour un bronze, il convient d’examiner la composition de l’alliage (la teneur en cuivre ou en étain), l’épaisseur, la ciselure et la patine. Pour toute sculpture, il est aussi important d’observer toutes les parties invisibles (plan de l’assise et des fractures, formes des mortaises, des attaches, des goujons…). Ce n’est qu’ensuite que j’aborde la question stylistique et iconographique.
L'effigie divine de la galerie Tarantino que j’ai étudiée est d’une valeur plastique incontestable. Cette statue raffinée offre un grand intérêt pour l’histoire de la sculpture antique. Elle rappelle les figures de Tanagra, qui sont l’écho de la grande statuaire attique disparue. L’attitude, la grâce, la mode vestimentaire évoquent irrésistiblement l’art du cercle de Praxitèle, le grand sculpteur athénien de la seconde moitié du IVe siècle av. J.-C. Le drapé est si particulier qu’on pourrait en attribuer l’origine au maître lui-même. Et, à cet égard, l’esprit de la composition, le dévoilement du pied qui crée une note d’érotisme concordent parfaitement avec ce que l’on pense connaître de l’art de Praxitèle, demeuré l’un des plus grands mystères de l’art grec.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°330 du 10 septembre 2010, avec le titre suivant : Le profil grec très recherché

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque